Mois : août 2004
Mais c’est la folie!
Mais ça n’arrête pas! Encore un post.
Moins long que celui de Boileau, parce que quand même, faut ménager ses lecteurs.
Juste pour avertir l’illustre assistance que demain, je pars… non pas à Solliès-ville comme les dessinateurs qui ont l’air d’avoir la belle vie… mais à La Mendola, près de Milan. Un petit colloque de derrière les fagots. Je n’y cause pas, mais comme mon poteau NicD’ac m’a proposé de venir assister à tout, tous frais payés par sa fac, je n’ai guère hésité. Et puis surtout, on va se préparer un petit programme de recherche commun, pour l’avenir, du style qui arracherait bien des larmes et un peu plus aux Institutions européennes de Bruxelles, si vous voyez ce que je veux dire…
Si vous avez envie de voir ce que ça va être, ce colloque, voilà le programme – c’est dans une ancienne abbaye, magnifique, mais un peu austère, c’est ce qui m’inquiète… Mais je fais confiance aux capacités d’adaptation des historiens, même (surtout) italiens. On finira bien par trouver la clé de la cave à vins.
Donc je reviens mardi prochain. D’ici là, soyez sages, ne jouez pas avec les allumettes et ne touchez pas au gaz.
Un peu de Boileau pour la route
Savourez-moi la satire IV, adressée à Monsieur l’abbé Le Vayer [note : l’abbé de la Motte Le Vayer a publié en 1656 une traduction de Florus. Il mourut en 1654, âgé de 35 ans, victime du vin d’émétique -mais je ne sais pas ce qu’est le vin d’émétique! du gros rouge qui tache ?).
D’où vient, cher Le Vayer, que l’homme le moins sage
Croit toujours seul avoir la sagesse en partage,
Et qu’il n’est point de fou, qui, par belles raisons, ne loge son voisin aux petites-maisons ? [une maison de fous, je suppose]
Un pédant enivré de sa vaine science,
Tout hérissé de grec, tout bouffi d’arrogance,
Et qui, de mille auteurs reconnus mot pour mot,
Dans sa tête entassés, n’a souvent fait qu’un sot,
Croit qu’un livre fait tout, et que, sans Aristote,
La raison de voit goutte, et le bon sens radote.
D’autre part un galant, de qui tout le métier
Est de courir le jour de quartier en quartier,
Et d’aller, à l’abri d’une perruque blonde,
De ses froides douceurs fatiguer le beau monde,
Condamne la science, et, blâmant tout écrit,
Croit qu’en lui l’ignorance est un titre d’esprit;
Que c’est des gens de cour le plus beau privilège,
Et renvoie un savant dans le fonds d’un collège.
Un bigot orgueilleux, qui, dans sa vanité,
Croit duper jusqu’à Dieu par son zèle affecté,
Couvrant tous ses défauts d’une sainte apparence,
Damne tous les humains, de sa pleine puissance.
Un libertin d’ailleurs, qui, sans âme et sans foi, [libertin = incrédule, athée]
Se fait de son plaisir une suprême loi,
Tient que ces vieux propos de démons et de flammes
Sont bons pour pour étonner des enfans et des femmes,
Que c’est s’embarasser de soucis superflus,
Et qu’enfin tout dévot a le cerveau perclus.
En un mot, qui voudroit épuiser ces matières,
Peignant de tant d’esprit les diverses manières,
Il compteroit plutôt combien, dans un printemps,
Guénaud et l’antimoine ont fait mourir de gens, [Guénaud, médecin de la reine, mort en 1667 et grand partisan de l’antimoine -un produit d’origine minérale (pas de l’eau, hein) aux vertus soi-disant curatives, en fait un poison]
Er combien la Neveu, devant son mariage [note de Boileau lui-même, si je ne me trompe pas: ‘Infâme débordée connue de tout le monde’]
A de fois au public vendu son p[ucelage].
[…]
Souvent de tous nos maux la raison est le pire.
C’est elle qui, farouche, au milieu des plaisirs,
D’un remords importun vient briser nos désirs.
La fâcheuse a pour nous des rigueurs sans pareilles;
C’est un pédant qu’on a sans cesse à ses oreilles,
Qui toujours nous gourmande, et, loin de nous toucher,
Souvent, comme Joli, perd son temps à prêcher. [Joli: prédicateur parisien célèbre, 1610-1678]
En vain certains rêveurs nous l’habillent en reine,
Veulent sur tous nos sens la rendre souveraine,
Et, s’en formant en terre une divinité,
Pensent aller par elle à la félicité:
C’est elle, disent-ils, qui nous montre à bien vivre.
Ces discours, il est vrai, sont fort beaux dans un livre;
Je les estime fort; mais je trouve en effet
Que le plus fou souvent est le plus satisfait. »
Bon, c’est un peu vieilli comme style, mais ça sonne bien, et puis, ça donne une autre image du XVIIe s., moins naïf et plus « moderne » que dans les images d’Epinal…
Vieilleries
Aujourd’hui, un peu de poésie, je vais vous parler de Boileau. Un vieux recueil des Oeuvres de Boileau, nouvelle édition conforme au texte donné par M. Berriat-Saint-Prix précédée d’une notice sur la vie et les oeuvres de Boileau par C.A. Sainte-Beuve, Paris, Garnier frères, sans date, vers 1860 à mon avis… acheté pour deux euros dans une bouquinerie à LLN… Ce vieux Boileau, tombé dans les oubliettes de l’histoire et de la littérature! J’ai sauté dessus et, parmi la trentaine de bouquins achetés la semaine passée (je vous ai déjà parlé de ma boulimie de livres), je m’en suis emparé hier soir. Ca m’a donné l’inspiration qui m’a manqué hier pour écrire… On oublie trop souvent les Anciens, persuadés qu’ils sont dépassés, awouttedèttedde, illisibles, sans intérêt. Et pourtant, sans tomber dans le vieux refrain du bon vieux temps, ils ont encore de la gueule, les vieux pères!
Jacques Boileau, dit l’abbé Boileau, né en 1636, doyen de l’église de Sens puis chanoine de la Sainte-Chapelle: un rigolo, selon Sainte-Beuve (qui n’avait pas pourtant l’air d’en être un, lui). « Quand il était au choeur de la Sainte-Chapelle [à Paris -le choeur des chanoines qui chantent l’office], il chantait, dit-on, des deux côtés, et toujours hors de ton et de mesure [les chanoines sont installés à gauche et à droite du choeur et, quand ils chantent, c’est normalement pas tous en même temps: il y a un système de répons, la partie de gauche se tait pendant que la partie de droite chante, etc] ».
Allez, je vous jette ça en pâture, je vous livre un extrait de son oeuvre dans quelques minutes
sniffage historien
Voilà, ça y est, je reprends le fil. C’est étrange, ce sentiment de vide au retour de « vacances ». je dis « vacances », parce que la semaine précédente n’étais pas spécialement reposante. Alors je suis heureux de me retrouver devant mon ordinateur, dans mon grand bureau, avec mes livres étendus tout autour de moi… et puis ces odeurs si familières, qui rendent l’atmosphère si paisible. Les odeurs ont une place très importante dans ma vie d’historien. Une charte, un vieux registre d’archives ont leur parfum propre, avec quelques déclinaisons selon le lieu de conservation. Mais ce n’est pas l’apanage des documents du Moyen Âge. Avez-vous déjà respiré un vieux livre? C’est un moment d’intense jouissance que d’ouvrir un vieil ouvrage, qu’il ait cinquante ou cent ans, voire cent cinquante… et puis de le porter à vos narines, de plonger votre nez dans le pli de la reliure (le mien est bien adapté à l’exercice) et de se laisser enivrer par les senteurs du vieux papier, des encres anciennes, du cuir ciré, plus ou moins sèches ou plus ou moins humides. Je procède régulièrement à ce sniffage de vieil imprimé, là où je peux, à la grande joie de mes cherzcollègues ou de l’assistance auxquels, à première vue, le côté esthétique de la chose échappe quelque peu. Ce n’est pas encore bien grave, comme perversion. Y’a pire.
Un post sur un coin de table
quelques jours sans histoire…
mais comment faisait-on quand IL n’était pas là?
Dans mon labo d’historiens, y’a un stagiaire informaticien. Frais émoulu d’un prestigieux institut, fier comme artaban, couronné de tous les lauriers, tête de promo etc. Qu’est-ce qu’il est chiant. Compétent ? Ouiii, certainement. Et il le sait. Ca le rend encore plus chiant. Oh, on ne s’inquiète pas pour lui, on sait bien qu’après le stage, il trouvera en trois claquements de doigts dix propositions d’emploi et roulera bientôt dans une caisse à quatre roues que je ne pourrai jamais me payer (notez, je m’en fiche, enfin, c’est ce qu’on dit dans ces cas-là). Mais il n’est pas encore parti. Il est là et bien là. Il nous explique avec un méchant petit sourire comment travailler, comment « bien » travailler. Il nous montre que jusqu’ici, nous utilisions nos ordinateurs comme des manches et que lui, deux ex machina, va nous apprendre à travailler intelligemment. Enfin, tenter de nous apprendre, parce qu’on voit bien qu’il considère qu’on est tous irrécupérables. Que voulez-vous, nous ne sommes que des chercheurs en sciences de l’homme et de la société ! Pas des gens sérieux, quoi. Ah, comme il doit rêver de sa future béhème, not’stagiaire. Ca doit le motiver pour tenir face à notre stupidité congénitale.
Moralité: un peu d’humilité ne messied pas.
Par contre, s’il est si malin, il risque de retrouver mon blog et d’y lire tout ça. Ca va chier. Et en plus, on est vendredi 13. Bon. J’assume.
en rond
Il y a des jours comme ça… On ne sait plus où donner de la tête pour le boulot… dix livres ouverts devant moi, des tas de photocopies… et en même temps on lambine, on tourne en rond, on glande sur le web, on se balade de blogs en blogs en se disant qu’il y en a de graves quand même… on revient au travail mais pas moyen de se lancer, on reste à la périphérie, sur la crête des dossiers, sur la tranche des livres… Pas moyen de se concentrer -est-ce la chaleur ? est-ce que c’est dû au fait que je devrai abandonner mon bureau pour retourner là-bas, dans le nord, voir mes parents, frère et soeurs et toute ma rutilante belle-famille, pour une semaine ? Cette impression qu’il faut tout faire en quelques heures mais qu’on sait très bien que rien ne sera fait et alors… on tourne en rond. « On ne travaille jamais aussi bien que sous la presse », me disait le grand MP, médiéviste et lorrain… il a raison! mais ici, il n’y a aucune pression…
Ca m’énerve.
Et j’arrive encore moins à me concentrer.
Et ça m’énerve encore plus.
Etc.
Comaingue aoûwtte – qui suis-je ?
l est peut-être temps d’en dire plus sur ce que je fais. Pas par nombrilisme (allez, disons: pas seulement), mais surtout parce qu’en me découvrant un peu plus, ça devrait donner un côté plus humain, moins pédant à mes propos. Parce que, de toute façon, pour moi, faire de l’histoire fait partie de ma vie. C’est une passion qui me consume.
Je suis donc historien, médiéviste. J’ai plusieurs cordes à mon arc: j’ai commencé avec des études sur l’histoire de la sainteté du VIIIe au XIIe s., comme j’en ai déjà touché un mot lors d’un précédent post. J’ai eu la chance d’apprendre le métier aux côtés de grands maîtres. Ils m’ont appris à m’accrocher, à m’ouvrir, à être polyvalent. J’ai cotoyé et je cotoie toujours certains en « vrai » (car j’apprends toujours, je pense que je n’arrêterai jamais d’apprendre)… tandis que d’autres, comme Georges Duby ou Léopold Genicot (quoi que je l’aie rencontré une fois ou l’autre, celui-ci) ou encore Marc Bloch et Lucien Febvre, je les ai rencontrés dans leurs livres et ils m’accompagnent. Tous ceux-ci et ceux-là, et puis tous mes autres amis historiens, tous m’ont donné le goût des sources, le « goût de l’archive » dirait Arlette Farge… Des textes hagiographiques du haut Moyen Âge, j’ai basculé dans l’étude des archives du bas Moyen Âge. L’étude des documents comme acteurs plus que révélateurs d’histoire, l’étude de l’archive pour elle-même et en elle-même m’a semblé, au sortir de ce travail, essentielle (mais j’en dirai plus lors d’un autre post, si vous voulez). Disons que je suis ce que les historiens appellent un « diplomatiste », un chercheur qui s’intéresse aux chartes, aux registres d’administration et de gestion, pour faire court (la science historique s’attachant à l’étude des chartes anciennes étant appelée la « diplomatique », science des diplômes anciens -diplôme, un autre mot plus technique pour désigner certaines chartes).
Mais marchons à pas comptés… Je parlerai de mes projets de recherche une prochaine fois!