De moins en moins drôle mais important quand même… De temps à autre, je m’intéresse aux choses de la politique. La politique, la gestion de la chose publique : elle est théoriquement réservée à des hommes et des femmes mus par un altruisme courageux. L’objectif d’un homme d’état démocrate est le bien du plus grand nombre. Théoriquement, ce sont les meilleurs d’entre-nous. Certes, ce sont des hommes de pouvoir. Une sorte de soif étrange, envie de ce filet doux-amer qui serre la gorge, goût du pouvoir que l’on ressent au poids et aux conséquences des actes posés, cette sensation de puissance quasi-nitszchéenne, ce » poison du pouvoir énervant le despote » remarqué par Baudelaire… Le tout est que cette soif soit contrôlée et que les actes soient altruistes, que les serviteurs de l’Etat soient les meilleurs, mus par le seul souci du bien-être public puisque, serviteurs de l’Etat, ils se doivent au pays. Ce n’est pas toujours le cas, loin de là. Bien souvent je m’effraie du manque de profondeur des politiques et de leurs vues courtes.
Je voudrais vous faire part de quelques réflexions à la lecture d’un article paru dans le Monde du 22 septembre, par Piotr Smolar, à propos de Dominique de Villepin, un personnage étrange qui me fascine un peu (beaucoup), même si mes propres visions du monde sont plus melfridiennes. En écoutant et en lisant de Villepin, j’ai l’impression d’avoir en face de moi un politique « d’avant », qui réfléchit avant d’agir et qui conçoit son œuvre politique comme une construction bâtie sur le long terme –le plus étonnant est son discours qui, du moins par écrit, est parfois réellement en décalage par rapport aux positions d’une droite néo-libérale. J’ai envie d’y croire. Mais bon, j’en parlerai davantage dans un prochain post… Non, ce qui m’importe ici, c’est de contrer le discours convenu de Smolar, insidieusement sarkozyen. Lisez-le, je vous laisse en juger.
Je pense, depuis ce jeudi, écrire une réponse au Monde. Mais j’hésite. J’ai rédigé quelques lignes. Je voudrais vous demander votre avis, je crains d’étaler une naïveté ridicule, même si je suis convaincu de ce que j’ai écrit. Dites-moi, que pensez-vous de ces lignes qui me dénudent un peu… Une sorte de texte-martyr, de préprint. Ces lignes, sont-elles bonnes, mauvaises, améliorables… et si oui, en quoi ?
« Il est des moments où un intellectuel jusque là tapi dans l’ombre du monde, grand et petit, doit sortir de sa réserve. L’ » analyse » de Piotr Smolar, parue ici-même ce jeudi 23 septembre dernier, est en quelque sorte le déclencheur. Certes, qui l’a lu a bien compris les vents de politique, avec un petit » p « , qui l’ont mené sur les presses. Mais il réchauffe en son sein un autre serpent que chacun connaît, hydre bien plus terrible et qu’il faut attaquer sans cesse : le manque d’ambition fondé lui-même dans une certaine absence de vista politique.
L’avenir d’un pays ne se définit pas par la qualité putative de sa police ou par de brillants jeux de statistiques qui rassurent la ménagère. L’avenir de ce pays se définit sur les frontières de l’Europe comme sur ses propres enjeux sociaux, économiques, éthiques. L’avenir de ce pays ne peut se jouer à des prestations télégéniques ou à des allusions péripathétiques à certains » d’en-bas « , ce qui signifie clairement que ceux qui en parlent sont, évidemment, d’ » en haut « . Il faut en revenir au » pays réel « , susurre M. Smolar, ignorant probablement que l’expression a été beaucoup utilisée par un certain Léon Degrelle qui, pantin sanglant, a construit son éphémère popularité sur un populisme nauséabond. Mais le pays réel , ce n’est pas celui auquel on essaye de faire peur, ce n’est pas celui que l’on pousse à se complaire dans un pessimisme bien en vogue, ce n’est pas celui qui se sent happé par les menaces de » l’autre « , de » l’étranger « …
Il n’y a pas de » pays réel « , au sens trop concret du terme. Il y a un pays complexe, multiforme, fait de mille pièces, toutes vivantes. C’est surtout un pays qui aimerait croire, qui veut croire à un avenir. Un pays qui ne ressemble plus en rien à celui que certains ont à cœur de décrire. Ouvert au-delà du monde, démesurément écartelé aux cinq continents, vivant dans les recoins de la toile, parlant toutes les langues et surtout celles de la justice, du droit, de la liberté. C’est un pays où l’on ne retrouve pas ces discours où » idéologie » a été remplacé par » économie « , où » décisions politiques » riment avec » nécessités économiques « . La chute du mur de Berlin a simplement élargi les frontières du » grand marché » et donné encore plus d’allant à une certaine France » d’en haut » par rapport au reste de la France. Mais c’est là une erreur terrible d’une Europe encore adolescente que de croire que l’économie est une idéologie. Les comportements économiques, pour essentiels qu’ils soient, ne sont que les traductions de la vie d’un marché, vie certes importante pour le pays… mais qui devrait être au service de celui-ci et non lui imposer ses cadences et ses exigences. Le pays a besoin de grands projets d’avenir, des réformes ambitieuses : l’enseignement, la recherche, l’éducation, la culture sont de ces priorités où se joue l’avenir de la France, l’avenir de l’Europe : bien davantage que sur les stratégies macroéconomiques, c’est sur les hommes et leurs forces intellectuelles et physiques que se bâtit la France d’Europe. Ne focalisons pas sur les éclairs médiatiques, il est largement temps de prévoir l’avenir, comme le dit le marieur du requin et de la mouette. Quittons les perspectives à court terme, abandonnons les rives si confortables : il faut oser maintenant, parier sur l’avenir et sur les hommes et les femmes de France, d’Europe. Il faut foncer, sans hésiter, trancher dans le vif des choses. Arracher les branches mortes. Donner leur chance aux pousses fragiles. Elaguer les troncs mal proportionnés.
Il y a donc place pour une vraie vision politique, au sens noble du terme. Les pays d’Europe attendent des hommes d’Etat. Ce pays est jeune, envers et contre tout. Il ne manque pas d’éclat, il bouge et croit plus que jamais en cette Europe à laquelle il se sent appartenir sans équivoque.
Mais le plus important, c’est de sortir de cette logique de » perdants « , de prendre enfin les choses en main, d’oser ébranler les vieux édifices avec des solutions neuves. L’homme d’Etat qui prendra en main les rênes du pays devra clairement être prêt à mourir pour Dantzig plutôt qu’à danser une polka à Honfleur « .
Alors, ridicule ? Simpliste ? Je suis perplexe, je suis plus à l’aise avec mes travaux d’historien…