Intermède radiophonique

J’ai entrepris quelques lectures profitables et je compte faire un passage en bibliothèque universitaire cette semaine afin de parfaire ma petite mise au point sur le négationnisme. Rendez-vous dans quelques jours, donc. Pour vous faire patienter, je vous renvoie à l’émission matinale de France Culture de ce lundi 25 octobre, au cours de laquelle est interviewé Henri Rousso, historien, spécialiste de la question de Vichy, chargé de l’instruction du dossier « négationnisme et antisémitisme à l’université de Lyon III » et mis en cause de manière indélicate par Gollnisch. Pour le détail de cette émission, consacrée largement au négationnisme, voir ici.

La « danse des morts à Köppels-Bleek »

Ces derniers jours, écrire pour mon blog ne me fait plus sourire. Je sais, ça ne le restera pas, du moins j’espère. Mais je viens de prendre en pleine figure une révélation dont je me serais passé: certains d’entre-nous portent « la Haine », les jeunes des cités diraient qu’ils « ont la Haine ». Sépulchres blanchis, ils demandent des preuves. Ce dimanche, un commentateur d’une de mes dernières notes a, je l’ai déjà dit plus bas, longuement étalé une prose révisionniste me mettant au défi de prouver l’existence de la « solution finale », de la shoah. Un commentateur qui parlait la langue de Gollnisch…

Et tout d’un coup, bloguer devient grave. Il ne s’agit plus ici de tonner contre les bateleurs folklos qui font du Moyen Âge de bazar. Il ne s’agit pas ici de s’opposer avec pédantisme dans des arguties juridiques. Il ne s’agit pas ici de déverser des tombereaux de phrases aux accents politico-verbeux dans des discussions de comptoir. Il ne s’agit pas ici de s’accorder ou se colleter sur des banalités musicales ou des goûts littéraires. Ici, je dois démonter d’un coup, d’un seul, les arguments des suppôts du révisionnisme, du négationnisme. Je n’ai pas le choix. Je le dois, et ici ma mission d’historien devient presque sacrée. Plus que jamais. Accepteriez-vous qu’un quidam crache sur la tombe de votre père, de votre mère, de vos grands-parents ? Ici, certains d’entre nous crachent sur la vaste tombe de plus de cinq millions d’hommes, de femmes et d’enfants, répandus sur les terres grises aux confins de l’Europe, morts par « la Haine ». Hier soir, à minuit, autour de quelques livres, fermant les yeux, je voyais comme en songe le visage de Marc Bloch, historien, médiéviste, juif, abattu en 1944 à Saint-Didier-de-Formans. Je voyais comme en rêve ces images cent fois revues des petits films d’époque tournés dans les camps à la libération, ces centaines de cadavres décharnés, morts crucifiés comme personne ne voudrait jamais mourir… puis le retour des déportés, les morts-vivants. Puis j’ai ouvert les yeux et je suis allé dans les chambres de mes enfants. J’ai ajusté la couette pour qu’ils aient bien chaud, leur visage était paisible. Il y a un peu plus de soixante ans, combien d’enfants ont dû être réveillés par les coups sur la porte par la soldatesque, la milice de Vichy, puis être habillés à la va-vite, hurlants, terrorisés, par leurs parents tremblants, sous le regard de la race supérieure, avant de descendre quatre à quatre, sous les rauques aboiements, pour s’engouffrer dans des camions et disparaître dans la nuit et le brouillard. Comment peut-on oser douter…

Maudite engeance du diable, enfants de « la Haine ». Il y en a encore, pauvres hères dont on a lavé le cerveau. C’est pour ces cinq millions de morts que je vais, parmi bien d’autres historiens de la vérité, vous donner les Preuves que vous avez l’audace de réclamer, puisque la douleur des survivants et les larmes des fantômes ne vous suffisent pas. Malheur à vous…

Je vais travailler à cela. Ca prendra du temps: comme tous les travaux d’historiens qui établissent le vrai. Plusieurs jours, certainement. A mes amis lecteurs « fidèles », vous qui pouvez vous regarder en face dans le miroir de votre écran sans rougir, je vous demande un peu de patience. J’ai encore bien des choses à vous dire, je ne compte pas arrêter ce blog. Mais je vais prendre le temps de la riposte. Elle sera une, appliquée et définitive. C’est seulement après cela que je reprendrai le fil de la vie dans ce blog.

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Je terminerai cette note liminaire par une longue et appropriée citation d’un ouvrage célèbre d’Ernst Jünger (voir ici une petite biographie dans Wikipedia), allemand devenu anti-nazi au cours des années de fer, les années ’30, mais comme beaucoup d’autres, comme la plupart, qui sera embrigadé dans l’armée.

« Sur les falaises de marbre » ou « Auf den Marmorklippen », publié en 1939 (ici, je suis l’édition française en « poche », Gallimard, 1971, p. 94-98), est une de ses oeuvres majeures. Récit allégorique dans lequel le nazisme et son cortège d’horreur sont dénoncés à mots semi-couverts par un narrateur qui n’est autre que Jünger lui-même, critique du régime, ce dont se sont rendus compte les nazis dès la parution de l’ouvrage. Voici ce long extrait, témoignage effrayant datant donc de 1939:

« Nous nous tenions derrière un petit buisson qui porte des baies d’un rouge ardent et regardions l’intérieur de la clairière du Rouissage. Le temps avait changé, car des traînées de brume qui nous avaient accompagnés depuis les falaises de marbre, aucune trace ici n’était plus visible. Les choses au contraire apparaissaient parfaitement nettes, comme au centre d’un tourbillon dans l’air immobile et silencieux. Et les voix des oiseaux s’étaient également tues. Seul un coucou lançait çà et là sa note sur la sombre lisière du bois, selon l’usage de son espèce. Tantôt proche, tantôt lointain, nous entendions son éclat moqueur et interrogateur, mesuré d’abord puis se précipitant soudain triomphalement, et faisant courir comme un frisson dans notre sang.

« La clairière était couverte d’une herbe desséchée, qui vers le fond seulement cédait la place aux chardons griffus qu’on trouve parmi les décombres. Sur toute cette aridité se détachaient avec une étrange fraîcheur deux gros buissons que nous prîmes pour des lauriers, mais les feuilles en étaient semées de taches jaunâtres comme on en voit sur les tabliers des bouchers. Ces deux buissons poussaient de part et d’autre d’une ancienne grange qui se dressait grande ouverte sur la clairière. La lumière qui l’éclairait n’était pas celle du grand soleil, mais, brûlante et sans ombre, elle détachait très nettement les lignes du bâtiment blanchi à la chaux. Les murs étaient divisés en trois compartiments par des poutres noires qui reposaient sur trois pieds et au-dessus d’eux s’élevait en pointe un toit de bardeaux gris. Contre ces murs, il y avait aussi des pieux et des crochets appuyés.

« Au-dessus de l’entrée béante et sombre, un crâne était cloué dans le triangle du pignon; il découvrait ses dents et dans la lumière son ricanement livide semblait convier à passer le seuil. Comme une chaîne aboutit au joyau, une étroite frise ornant le pignon se refermait sur lui, qui semblait comme formée d’araignées brunes. Mais nous devinâmes vite que c’étaient là des mains humaines fixées à la paroi. La chose était si nette que nous distinguions la petite cheville passée à travers la paume de chacune d’elles.

« Contre les arbres aussi, qui bordaient la clairière, les têtes de mort blanchissaient, dont plus d’une, ses orbites déjà pleines de mousse, semblait sous observer avec un noir sourire. Tout était silencieux, hormis la folle danse du coucou promenant son chant autour de ce lieu où blanchissaient les crânes. J’entendis frère Othon murmurer, comme à demi plongé dans un rêve: ‘oui, c’est Köppels-Bleek.’

« L’intérieur de la grange n’était presque qu’obscurité, et nous ne pouvions apercevoir, tour près de l’entrée, qu’une table d’équarrisseur sur laquelle une peau était étalée. Par derrière, se détachaient encore sur le fond de ténèbres des masses pâles et comme spongieuses. Nous voyions voler vers elle dans la grange des essaims de mouches gris d’acier ou couleur d’or comme en un rucher. Puis l’ombre d’un grand oiseau tomba sur la clairière. C’était celle d’un vautour qui, écartant ses ailes hérissées, s’abattait sur le champ de cardères. Ce ne fut que lorsque nous le vîmes fouiller lentement la terre remuée, enfonçant son bec jusqu’au cou rougeâtre, que nous reconnûmes qu’il y avait là un petit personnage en train de travailler avec une pioche, et que l’oiseau accompagnait son travail comme le corbeau suit la charrue.

« Le petit personnage posa là sa pioche et, sifflant un refrain, se dirgea vers la grange. Il était vêtu d’un justaucorps gris, et nous le vîmes qui se frottait les mains, comme après une bonne besogne. Lorsqu’il fut dans la grange, nous entendîmes frapper et racler sur la table d’équarrissage, et le refrain siffloté sans cesse accompagnait ces bruits avec sa funèbre gaieté. Puis nous entendîmes, comme s’il voulait l’accompagner, le vent s’agiter dans la futaie, éveillant le cliquetis des crânes blanchis qui heurtaient ensemble les arbres. Et dans son souffle se mêlaient aussi le choc des crochets et le froissement des mains desséchées contre le mur du hangar. Ce bruit d’os et de bois heurté faisait songer à quelque jeu de marionnettes dans le royaume des morts. En même temps arrivait dans le vent un souffle de décomposition pénétrant, pesant et douceâtre, qui nous fit frissonner jusqu’à la moelle. Nous sentîmes alors au fond de notre être sur la plus grave, la plus profonde corde répondre la mélodie de la vie.

« Nous n’aurions su dire, plus tard, combien de temps nous avions contemplé cette chose d’un autre monde -un instant seulement, peut-être. Puis, comme éveillés soudain, nous nous prîmes les mains, et d’un bond nous rentrâmes dans la haute futaie de la corne Filler, poursuivis par l’appel moqueur du coucou. Nous connaissions à présent la cuisine maléfique d’où venaient les brouillards se traînant sur la Marina; puisque nous nous obstinions, le vieux nous l’avait montrée avec plus de netteté. Telles sont les caves au-dessus desquelles s’élèvent les fiers châteaux de la tyrannie et c’est au-dessus d’elles que nous voyons monter l’encens de leurs fêtes: puantes cavernes d’un genre sinistre, où de toute éternité l’engeance réprouvée se délecte lugubrement à souiller la liberté et la dignité humaines. Alors se taisent les muses, et la vérité commence à vaciller comme un fanal dans un souffle mauvais. On voit les faibles déjà céder, quand les premiers brouillards à peine s’élèvent, mais la caste des guerriers elle-même est prise d’hésitation, lorsqu’elle voit le peuple des larves monter des profondeurs à l’assaut de ses bastions, tant il est vrai qu’en ce monde le courage guerrier n’est guère que de second rang et les plus grands seulement d’entre nous pénètrent jusqu’au foyer même de l’épouvante ».

De l’erreur humaine à l’erreur inhumaine en Histoire

Hier soir, me brossant les dents (je tente de donner des accents intimistes à mon blog), je me suis rendu compte que j’avais éludé plusieurs problèmes importants dans ma dernière note aux objectifs désodorisants.

D’abord, il faut bien comprendre que, si je prends à titre personnel une position clairement opposée aux extrémistes xénophobes et liberticides du FN, cela ne veut pas dire que cette position intervient dans mes travaux à tout moment et que je termine mes articles scientifiques par une note invitant la population à brûler une effigie de Le Pen en place de Grève. Je me dois, dans mes travaux de médiévistes, de respecter un détachement total par rapport aux effluves du temps présent, quelles qu’elles soient. Quant à ma position par rapport au révisionnisme/négationnisme, c’est autre chose. La première fois que j’ai pris connaissance des thèses révisionnistes, j’ai été interloqué. Attention: pas séduit, soyons clairs: interloqué. Je sais en effet, en tant qu’historien, que nous sommes parfois influencés par un climat social, un état d’esprit, des sentiments partagés naturellement, et que cela nous empêche de temps à autre de voir les choses clairement, nous induisant à sous-critiquer les choses. Ainsi le pseudo-massacre de Timisoara, en Roumanie, bien connu: une manipulation politique qui a emporté notre soutien tout entier à la « révolution roumaine », largement récupérée par les manipulateurs évidemment. Nous avons été émus et avons « oublié » de critiquer l’événement – mais était-ce possible à chaud ? il y a de quoi en douter…

Donc, à propos du révisionnisme, j’ai eu un instant de doute légitime à la première lecture de la thèse. Mais très rapidement, en quelques minutes, j’ai repris les travaux essentiels et sérieux sur le sujet, j’ai consulté les documents d’époque tels qu’ils ont été édités scientifiquement, et les choses sont apparues clairement: nombre de documents américains et allemands prouvent clairement la Shoah ; les chambres à gazer les hommes, les femmes et les enfants ; la politique de la Solution finale mise à exécution par les nazis ; les juifs et les tziganes assassinés par millions… Sur base de ces documents d’époque, de l’exploitation rigoureuse et critique faite par des historiens compétents, toute personne sensée ne peut que rejeter le négationnisme.

Les personnes qui ont lancé cette thèse étaient, à l’origine, des historiens. Que s’est-il passé ? Il est intéressant de réfléchir aux erreurs de l’historien. Car un historien peut se tromper, de multiples façons. Comme tout individu peut se tromper dans sa vie privée ou professionnelle, comme un comptable, un plombier un médecin ou même, horresco referens, un ingénieur (hu hu…). Il y a plusieurs façons de commettre des erreurs. La plupart des historiens se fourvoient involontairement. Très peu commettent des erreurs volontairement -mais combien ? deux, trois, dix, vingt ? Probablement un sur deux ou trois cents, au grand maximum, à mon humble avis, mais c’est un chiffre que je ne fonde sur rien que mon sentiment.

Commençons par ceux qui se trompent involontairement. C’est souvent sans gravité: une mauvaise lecture d’un texte ancien, l’oubli d’un document dans un fonds d’archives, une erreur de traduction… Cela implique parfois (mais pas toujours) de mauvaises interprétations…Il arrive de temps à autre que ces interprétations, qui tenaient la route jusque là, soient remises en question par la découverte postérieure de documents qui renouvellent alors la problématique. D’autres erreurs sont possibles, elles tiennent le plus souvent à l’interprétation, qui peut-être trop rapide, hâtive, basée sur une mauvaise connaissance de tel ou tel contexte… C’est là que le caractère de l’historien intervient, sa personnalité aussi: il peut interpréter les documents anciens avec un oeil trop personnel, déformé par telle idéologie, telle passion, telles lectures, telle religion… Errements inconscients, convaincus le plus souvent. Mais souvent, ces erreurs, pour importantes qu’elles soient du point de vue historique, n’entraîneront pas de sanctions réelles ou morales pour l’auteur si elles sont involontaires et que leur auteur, face à la démonstration de cette erreur, en convient plus ou moins -personne ne lui demandera de faire pénitence publique! Précisons: si chacun d’entre nous se trompe de temps à autre, ce n’est souvent pas bien grave ni fondamental et l’on y remédie bien vite.

Viennent alors les malfaisants. Ceux qui trafiquent l’Histoire consciemment, pour des motifs personnels, idéologiques, politiques, religieux… pour accroître leur gloriole personnelle et se faire une réputation de grand historien. Ca arrive… La plupart du temps, ils partent des documents anciens connus et les forcent à entrer dans leur mode de pensée. Ils prennent dans les sources ce qui apporte de l’eau à leur moulin. Ils font une sélection d’informations « utiles » pour eux. Imposant leurs idées aux sources et les « forçant », les « violant », ils procèdent à l’inverse des historiens responsables qui eux partent des sources et arrivent aux interprétations. Mais ce ne sont pas les pires. Il y a ceux qui inventent des sources, des textes anciens, qui « bricolent » les documents du passé pour qu’ils correspondent à leurs idées. Ceux-là ne sont pas des historiens, pour la plupart, ce ne sont que des faussaires, et il y en a bien peu, je pense. Dans tous les cas, ces ‘malfaisants’, qui trafiquent l’Histoire, faussaires ou non, les professionnels sérieux de la discipline les débusquent très vite. En effet, la plupart du temps, ces tromperies vont à contre-courant de l’Histoire telle qu’établie par la communauté des chercheurs. Elles choquent par leur contraste. Les spécialistes « honnêtes » se penchent donc avec insistance sur ces thèses, par curiosité et par inquiétude -tout cela ne pourrait-il être vrai ? Et je vous assure qu’une escouade de quelques historiens à l’assaut d’une thèse mise en question peut être d’une efficacité redoutable, aussi destructrice que l’armée d’Attila. Si le dossier passe l’écueil du jugement de ces quelques spécialistes, alors, c’est qu’il est valide historiquement. Sinon, on enterre la thèse douteuse et son auteur sous les quolibets de la communauté scientifique. C’est ce qui s’est passé avec les thèses révisionnistes.

A ce dernier propos, le problème ne vient pas des historiens, ils sont unanimement opposés à ces thèses. Le problème vient de la vermine qui s’en empare à nouveau, comme si de rien n’était, s’érigeant en censeurs de nos travaux. Ce qui me tord les boyaux, c’est que certains dans la population, déboussolée dans les grandes tempêtes du moment, se laissent séduire par le chant des sirènes ; que certains mal conseillés, sachant peu ou sachant mal, tombent dans le piège, qu’ils les écoutent eux, les quelques malfaisants, beuglant dépoitraillés, hurlant leur credo les larmes aux yeux et les mains tendues vers ce qu’ils prétendent être la juste vérité… plutôt que nous qui faisons juste ce que nous pouvons, avec moins de pathos ou de démonstrations d’affection. Ce n’est pas seulement un métier, être historien, c’est aussi une manière de lutter.

Récurrentes pourritures: poussées de négationnisme

Si certains parmi vous doutaient encore de l’utilité de l’Histoire comme discipline pour discerner le vrai du faux dans une société libre, en voici la preuve ultime… je veux parler des relents nauséabonds que distillent à nouveau les fascistes du Front. Gollnisch, pauvre pantin bêlant, a remué une fois de plus les fonds de latrine qu’avait, avec la mauvaise foi qu’on lui connaît, découverts le retors tribun Le Pen. C’est le retour du « révisionnisme », cette misérable manipulation de l’histoire, désinformation inacceptable des faits qui a fait dire à quelques individus comme Faurisson ou encore, plus récemment, Plantin, que les chambres à gaz, ces « détails de l’histoire », n’avaient jamais tué quiconque, sinon des poux (c’est ce qu’on appelle aussi le « négationnisme »). Que l’on exagérait le nombre des juifs assassinés. Que l’importance de la Shoah était exagérée. Entre autres vomissures.

Bien des historiens de grande qualité, comme Pierre Vidal-Naquet, ont battu en brêche cette thèse (voir par exemple une émission de France Culture de 2000 sur cette question): la communauté scientifique en a démonté tous les arguments, s’appuyant sur les preuves les plus évidentes de la réalité du massacre de masse organisé par les nazis, notamment par le biais des chambres à gaz. Le révisionnisme ou plutôt négationnisme est un courant de pensée plus qu’une forme d’histoire. C’est une dérive idéologique nocive, le fondement de certains partis d’extrême droite. Gollnisch remets donc le couvert, de façon insidieuse, larvée, pour éviter les foudres de la loi: voyez les articles du Monde, du Figaro, du Nouvel Obs d’aujourd’hui. Lisez-en au moins un, ils se répètent… mais ça vaut la peine… La riposte est directe, elle vient du président de l’université de Lyon III, celle qui avait hébergé en son sein un des initiateurs de cette grande manipulation, Faurisson: il s’agit de poursuivre Gollnisch, de le suspendre de sa chaire de Japonais à la même Université de Lyon III.  Tandis que le président du parlement européen veut que le personnage, actuellement député européen et donc couvert par une immunité, soit traduit en justice.

Evidemment, cette fange dont se nourrit le Front est aussi celle qui le fait connaître, elle croît à chaque passage dans les journaux et le risque existe, qu’un lecteur de ce blog sorte ébranlé de la lecture de cette note, se demandant si tout compte fait, partant du principe qu’il n’y a pas de fumée sans feu, si le Front ne serait pas une alternative à la soi-disant langue de bois de ce qu’on appelle depuis plus de cent ans le « complot judéo-communiste ». C’est bien ce qu’il espère. Ne tombez pas dans ce piège insidieux…

Je fais confiance à l’intelligence des lecteurs et je leur demande de bien comprendre que ma mission d’historien n’est pas de manipuler les textes, de trafiquer les résultats de mes recherches, tout au contraire. La déontologie du métier d’historien est sans pitié à ce propos: toute malhonnêteté patente, toute dérive idéologique (à gauche comme à droite) entraînant manipulation des faits est sanctionnée par une mise au banc de la communauté immédiatement, voire des sanctions académiques ou administratives. A quoi tient ce respect ? Au respect des personnes dont nous déterrons l’existence au fil de nos recherches, au respect de leurs actions, de leurs faits, méfaits, bienfaits. Au respect des personnes qui nous liront, qui apprendront par le biais de l’enseignement ou des médias ce que nous avons dégagé, à tous ceux qui nourriront leur vie de ces connaissances, qui se doivent d’être les plus proches possible de ce qui a été. Ca ne veut pas dire que l’historien n’a pas d’opinion philosophique, religieuse, souvent, c’est tout le contraire. Mais il doit s’astreindre à l’ascèse de l’objectivité. C’est ça, le plus dur et le plus nécessaire de ce métier: dire les choses telles qu’elles se sont passées vraiment.

Les vrais historiens, libres, sont ceux-là. Ce sont les plus nombreux. Notre tâche est d’établir. Ou de rétablir, si un malfaisant est passé par là et tente de faire passer un discours trafiqué. Voilà pourquoi le monde libre a besoin des historiens. Voilà à quoi sert l’histoire. Voilà à quoi sert le devoir de Mémoire.

Petite leçon de critique appliquée aux blogs

La rédaction de textes sur le blog -la publication sur l’internet, quelle qu’elle soit- peut changer la vie de son auteur.

Historien de profession, j’ai pour tâche d’avancer à petits ou grands pas dans les sentes et les ravines des mondes perdus, de me frayer un passage à coup de machette, d’essarter une place, d’y redécouvrir les ruines cachées sous les ronces, de reconstruire virtuellement l’édifice… puis de le faire connaître aux autres hommes. Enfin, d’essayer. De mes capacités d’essarteur, d’archéologue et d’architecte virtuel, réelles ou supposées, de ce métier complexe, il faudrait encore et encore parler mais ce n’est pas le lieu.

Ici, je voudrais insister sur le « faire savoir » et ses paradoxes. Comme « spécialiste », je publie (c.à.d. je fais connaître à tous, je mets à disposition du public, je mets dans le domaine public) nécessairement le résultat de mes enquêtes dans des ouvrages spécialisés. Soit des revues, qui sont dans mon domaine de recherche encore sur papier. Il y a des dizaines de revues d’histoire médiévale – probablement plusieurs centaines (un site en recensant un grand nombre ici). L’objectif est de publier dans les meilleures, celles qui sont reconnues et bien diffusées, qui ont une réputation scientifique bien établie. Chacune de ces revues se vend en moyenne à 500 exemplaires. Pas davantage pour la plupart. Les abonnements sont chers: 50 euros pour une revue annuelle, en moyenne. Les chercheurs ne s’abonnent plus personnellement, ce sont les bibliothèques spécialisées qui le font. Elles constituent la plus grande part des « abonnés ». Les étudiants et autres chercheurs photocopient à tout va. C’est normal. Autre mode de publication de mon enquête, si elle fait plus de 100 pages: un livre. Là aussi, c’est du papier. Tirage moyen pour un livre scientifique pointu: 400-500 exemplaires. Ma thèse vient d’être publiée, tirée à 500 exemplaires, vendue à plus de 50 euros le volume. Là aussi, ce sont surtout les bibliothèques universitaires qui l’achèteront, même si les ventes auprès des chercheurs individuels restent importantes (personnellement, j’acquiers entre 5 et 15 livres scientifiques par mois). Evidemment… je voudrais publier des ouvrages plus « grand public », plus accessibles à tous: ce serait en quelque sorte la conséquence logique de ma mission. Mais seuls quelques chercheurs, reconnus, triés sur le volet, accèdent aux commandes d’ouvrages « grand public »: ces ouvrages qui peuvent avoir un réel retentissement intellectuel, être diffusés et lus à plus de 5 000 ou 10 000 exemplaires. … Un jour, peut-être.

A l’heure actuelle, combien de chercheurs ont-ils lu mes travaux ? Mon livre : de 200 à 300 personnes le liront en cinq ans, selon moi. Maximum. Mes articles: par article, 200 lecteurs environ ? 500 en dix ans ?Attention: tout cela ne rapporte RIEN aux auteurs scientifiques comme moi, qui abandonnent le plus souvent tous les droits d’auteurs aux éditeurs, afin que ceux-ci mettent en page l’ouvrage à leurs frais. Si d’aventure on touche des royalties, ces maigrelets revenus restent ridicules… L’imprécision, l’ignorance relative à ces lecteurs potentiels ou réels est étonnante. Elle interpelle et donne confiance à la fois. On écrit pour être lu mais sans s’en inquiéter exagérément, cela reste flou. Cela permet une certaine liberté de ton ou de style, on ne cherche pas le public, il est déjà là, dans les universités et les bibliothèques. Une « certaine » indépendance ?

La publication sur le web s’associe, elle, aux statistiques de consultation. Celles-là, même si elles mentent comme tous les chiffres, elles comptent quand même. On sait davantage… Quand j’écris sur le weblog, je sais déjà que je serai lu, je connais les chiffres. Immanquablement, ivresse d’être lu. Ou angoisse de ne pas être lu, là, maintenant, dans la journée. Maudites statistiques, heureuses statistiques.

Certains de nos compagnons blogueurs usent de subtiles stratégies pour être connus, être lus, exister: commenter partout de manière consensuelle, se composer un magnifique interface graphique, surtout s’exhiber de mille façons mais aussi user d’un langage qui plait. Le succès phénoménal du blog « Max » est un signe à ce propos: l’auteur de ce « blog » a trouvé (ou connaissait) le langage qui plaît, trash et plat, agressif et cynique jusqu’à la caricature. Ce n’est pas tant le style de ce « blog » ou son contenu qui m’intéresse, mais les commentaires qui accompagnent chaque note et qui se comptent par dizaines, voire centaines, la plupart admiratifs (quelques-uns plus critiques, mais sans grand fard, rapidement cassés par la superbe de l’auteur qui répond d’un mot qui se veut cassant et définitif d’ailleurs, comme une lettre de licenciement). Ces commentaires qui montrent comment en quelques semaines ce blog s’est construit un public qui s’y reconnait, qui adule le style et le genre, à tel point que Le Monde a lui aussi versé une douteuse obole. Les perversions de la télé-réalité ne se sont-elles pas déplacées sur le web ? Certains se mettent en scène pour être connus, même sous un nom d’emprunt, être adulés, aimés. Etre la star du web!

Le risque que courent beaucoup de blogueurs est de rédiger POUR plaire, pour faire des statistiques. Je le cours aussi. Le risque d’écrire pour être aimé. Or, a priori, il faudrait d’abord, en écrivant, faire passer un message de convictions, vouloir faire avancer un peu les choses, à sa manière, avec plaisir… Naïveté ? Fantasme ? Bah. Mais il faut être conscient du poids des statistiques et de la perversion de l’outil qui compte, pour pouvoir rédiger comme un homme libre. Plus ou moins.

« ‘Eccoli qua, i Secoli Bui. Altro che oscuro medioevo… »

Je vous conseille, si vous connaissez un peu d’italien, la lecture de l’article suivant, tout fraîchement paru, de Franco Cardini, un des grands médiévistes italiens, assez mal considéré par la communauté scientifique italienne en général, à cause de son non-académisme et son non-conventionnalisme. Ici, il massacre le « faux Moyen Âge » dont j’ai déjà parlé plus haut, il règle son compte aux affidés des mystères des templiers, de la quête du Saint-Graal, des obsédés du soi-disant obscur Moyen Âge. Il tort le cou aux marchands du temple qui bradent l’Histoire, qui en font un produit pipole, qui raclent le fond des égoûts ou des latrines en collant l’étiquette « médiévale » sur leurs produits à vendre, tout ça juste pour le fric. Il se désole, comincio ad essere stanco: malgré tous nos efforts, c’est bien difficile de lutter à contre-courant, contre cette maffia de la culture de caniveau. Eccoli qua, i Secoli Bui. Altro che oscuro medioevo…Lisez, en plus, c’est bien écrit…

Critique et Krieg

Pratiquer la critique documentaire s’impose de plus en plus dans nos sociétés dites de l’information. Il ne s’agit pas simplement de porter un « regard critique » sur les choses: la critique doit être pratiquée comme un outil, une technique que l’on apprend -je ne rentrerai pas ici dans la critique vue par le philosophe, j’en suis bien incapable. Mais de la critique historique, comme technique d’analyse, aux reliefs multiples, je peux en parler un peu: de la critique textuelle à la critique factuelle en passant par la critique des images ; de la critique externe des documents à la critique interne… C’est que, pour un historien de métier ou de formation, pratiquer la critique est devenu un comportement naturel, instinctif. J’interviens naturellement, mécaniquement, parfois abusivement, dans toute lecture, dans toute discussion, avec cette vision tranchante et parfois inhumaine, animée par une forme de doute méthodique, obsessionnel. Un peu comme le boucher tranche mécaniquement ses quartiers de barbaque en suivant le fil de la viande, choisissant tel morceau et rejetant tel autre.

Le plus complexe dans la critique n’est pas la critique elle-même, peut-être même pas son application presque inconsciente -le résultat d’une heureux lavage de cerveau au fil des études-, le plus complexe est de maîtriser la critique. De ne pas tomber dans l’hypercritique, la critique à l’extrême, la paranoia intellectuelle. Mais ne pas non plus, d’un autre côté, verser dans la sous-critique, se « retenant » de critiquer de peur de l’hypercritique. D’un côté le risque de douter de tout, de l’autre le risque de faire trop confiance, de se laisser emporter par ses sentiments pour ou contre…

La critique historique revient avant tout à remettre le document-source dans le contexte de son époque. Ca aussi, avec un peu d’habitude, ça se fait tout naturellement. Avec toujours les risques de surinterpréter ou de sous-interpréter la source.

Un de mes passe-temps favoris est la lecture d’ouvrages-clés: des livres qui ont marqué leur temps, qui l’ont modifié parfois, qui reflètent souvent des situations lourdes ou des mutations en devenir. A bien connaître le contexte de leur rédaction et de leur publication, le jeu de remise en contexte devient fascinant.

Je viens de terminer un des premiers ouvrages de Charles de Gaulle, paru en 1934 (dans une réimpression de 1944 à la couverture glorieusement estampillée de la croix de Lorraine): vers l’armée de métier. C’est un livre-culte. De Gaulle y explique que le temps de la conscription est terminé, qu’il faut mettre en place une armée mécanisée de professionnels, dont les opérations doivent être basées sur la rapidité de percée d’élements motorisés et l’utilisation des techniques de communication. Les objectifs ne sont pas (nécessairement) de conquête mais de maintien de la paix. De Gaulle, personnalité déjà écrasante,met en avant le rôle essentiel du commandant des différentes unités en action, pétri d’indépendance, intellectuel cultivé, presque seul maître à bord, nécessairement adulé par ses hommes, à la motivation sans faille. « Car la gloire se donne seulement à ceux qui l’ont toujours rêvée » (p. 223). Au même moment, ou à peu près, un général allemand, au cours de la reconstruction de l’Allemagne, tient un discours semblable. Il s’appelle Heinz Guderian, il a laissé bien moins de souvenirs dans la mémoire collective. Il a écrit le pendant de Vers l’armée de métier, l’insistance sur le côté charismatique du chef en moins, le souci de la technique plus appuyé. L’ouvrage s’appelle lourdement Achtung – Panzer! Die Entwicklung der Panzerwaffe, ihre Kampftaktik und ihre operativen Möglichkeiten, paru à Stuttgart en 1937. Le propos est le même que celui du français. Guderian connaît Vers l’armée de métier. C’est un vieux général, un Junker de cette vieille noblesse d’armes teutonne; lui aussi, comme de Gaulle, a fait 14-18. La grande différence entre les deux ouvrages tient à leur réception: personne n’a cru de Gaulle ; les officiers allemands et surtout les officiels nazis ont fait confiance à Guderian. Lors de la débacle de mai ’40, de Gaulle fut appelé en catastrophe pour tenter une contr’offensive, mais c’était trop tard.

Au-delà des détails d' »histoire-bataille », lourds et redondants, l’intérêt de cette lecture est d’y lire un homme, une ambition, des changements annoncés, une capacité d’analyse impressionnante. De s’amuser aussi d’une constatation: si je ne me trompe pas, le leitmotiv du livre du Général, la suppression de la conscription, resta un voeu pieux durant ses années au pouvoir.

La Guerre des Mondes

1er chapitre: où l’on se rend compte que deux univers parallèles coexistent indépendamment l’un de l’autre

Il y a quelques mois, travaillé par l’envie de toucher à l’Interdit, j’ai osé fonder un blog. J’avais pensé à blogspot (je m’y suis d’ailleurs réservé un espace, en friche) mais, face à la nécessité de connaître un peu de html pour ce faire, face au temps qui me fait toujours cruellement défaut pour m’y plonger, je me suis réfugié dans 20six. Très vite, j’ai compris que j’avais là à ma disposition un espace de publication tout à fait particulier. Il s’agissait de parler de ce que je suis, de mon agir et de ma pensée d’historien face au monde réel, de la façon dont je conjoins le siècle et mon travail d’historien. Mon « way-of-blog » a commencé comme cela, puis a évolué au fil du temps.

Considérablement déçu voire dégoûté par le « chat » généraliste où je n’ai trouvé que stupidités, agressivités ou obsessions diverses, j’ai découvert une autre communauté, celle du blog (précisons: lorsque je critique le chat, je ne parle pas de l’utilité de msn…). Mais évidemment, je me suis vite rendu compte que les connards avaient aussi découvert le blog. Fort heureusement en moins grand nombre: ils se sont regroupés pour la plupart, moutonsdepanurgesquement, dans des parcs à cons comme les skyblogs. Hélas, d’autres connards, qui arrivent à écrire des mots de plus de trois ou quatre lettres, sont devenus des voisins de blog malgré tout, sur 20six comme ailleurs: des personnes aux idées et idéaux qui nous (me ?) sont bien lointains. C’est comme ça. En cela, la communauté du blog est une reproduction plus fidèle du « monde réel » que le « chat », perverti par le pseudo-anonymat, la facilité d’accès et de communiquer, enfant du « jouir immédiat ».

Il reste fort heureusement bien des bloggeurs et des blogs de qualité. J’en lis un grand nombre régulièrement, j’essaye d’en découvrir de nouveaux tous les jours. C’est une véritable révélation: des personnalités fortes, souvent jeunes voire très jeunes, mais avec une conscience d’auteur, des talents de création, des messages à faire passer, des oeuvres à montrer… Une audace dans le ton, une capacité d’innovation remarquable. Il y en a certains que j’admire vraiment. Des personnalités que j’aimerais rencontrer. Au beau milieu de cette communauté, je me suis fait une petite place. Oh, petite. Même si le nombre de visiteurs est pour l’instant en expansion, je n’ai guère de vraie « vie de blog » par le biais des commentaires: ce blog est peu réactif, je l’ai déjà dit. Ce n’est pas bien grave, même s’il est vrai qu’avoir des réactions, nouer des dialogues voire des discussions m’importe beaucoup. Le temps des cours ex cathedra est bien fini et même si on a beaucoup galvaudé le mot « interaction », celui-ci me semble essentiel.

Il n’empêche. Même s’il est plus riche que d’autres mondes virtuels (du moins ceux que je connais), l’univers bloguesque est un univers parallèle. Pour certains des blogueurs, qui l’utilisent comme instrument de (pré)publication de leurs oeuvres ou comme « carnet de croquis », il se confond avec le monde réel, puisqu’on y connaît leur nom, surnoms, leur « adresse », leurs oeuvres… Mais pour bien d’autres, dont je suis, c’est un univers parallèle au monde « réel »: sous le couvert d’un anonymat relatif, j’y publie des textes que je n’aurais jamais publié ailleurs, j’y tiens un langage inhabituel par rapport au langage académique courant, j’y parle de choses qui sont académiquement incorrectes. Défouloir ? Non, mieux que cela: endroit où je m’exprime en m’émancipant des cadres académiques traditionnels. La jeunesse du medium permet toutes les audaces, ou presque.

Mais ces univers ne sont parallèles qu’en façade.

2ème chapitre, où l’on décrit l’inévitable choc des planètes

Comme toujours, c’est un fait, un événement qui déclenche le cataclysme. Des causalités en histoire! Souvent ces événements déclencheurs sont rendus comme inévitables par une accumulation de conditions qui en préparent l’irruption soudaine.

Depuis deux mois, j’additionnais note sur note, billet sur billet, sur des sujets très divers, essayant de n’impliquer aucun historien pour des raisons de déontologie bien compréhensibles. Ou alors si j’ai parlé des historiens, c’est pour dire tout le bien que j’en pense. Une quarantaine de billets. J’ai participé à dix, vingt, trente autres blogs en réagissant dans les commentaires -pour rire souvent, parfois très sérieusement: dans des blogs de dessinateurs ou d’illustrateurs, des blogs de diaristes ou d’essayistes humoristes, des blogs de spécialistes de l’édition électronique, des blogs d’historiens -il y en a peu, mais ils sont bons. Probablement entre 150 et 200 commentaires, depuis ces deux mois… Mon « Blitztoire » a été référencé par tous les moteurs possibles et a été archivé, à ce que j’ai vu, sur alexa… Pas mal de nouveaux lecteurs sont arrivés à moi par le biais des liens dans les commentaires -plus rarement par la présence dans les favoris de, à ce que j’ai vu, deux autres blogs (oui, seulement deux, mais de qualité, je n’en demande pas plus -merci à eux, qui se reconnaitront ici, d’ailleurs). Puis vint, étonnamment, le 29 septembre, une note dans le blog MediaTic sur… les blogs de médiévistes dans laquelle Blitztoire était cité. Le lendemain, je recevais un message d’un médiéviste que je connais pour l’avoir déjà entendu lors d’un colloque et pour avoir déjà lu et utilisé ses travaux, afin de me donner quelques informations à propos d’une de mes notes sur l’Open access. Un garçon fort compétent et d’une correction rare, je le précise de suite, qui m’a assuré de sa discrétion -je lui fais confiance. Il n’empêche. C’est l’Evénement. Et dans les logs mentionnés dans les statistiques hier, j’en ai trouvé quelques-uns qui me font dire que le temps de l’innocence est terminé. Même si pour l’instant aucun médiéviste ne m’a « réellement » découvert, du moins de manière publique, je sais que c’est une question de semaines. Il y a assez d’éléments dans mon blog pour qu’un médiéviste curieux, débrouillard et proche de mes préoccupations arrive à me démasquer : nous ne sommes pas très nombreux dans la profession.

Je m’attendais à l’Evénement. Mais je n’avais jusque là pas réfléchi à la façon par laquelle je devais réagir. J’ai donc affuté mes armes et réfléchi longuement ces derniers jours. Le Plume, compagnon des premiers jours de ce blog, a bien deviné ce qui se passait. Instants graves. Nunc est bibendum.

3ème chapitre, où l’on s’affronte à la crise

Le problème n’est pas qu’un médiéviste me connaisse et me reconnaisse dans ce blog. Le problème est que j’y ai traité de choses non-conventionnelles de manière non-conventionnelle. Le monde académique est de plomb et les traditions y pèsent lourdement sur les actes et les écrits. Pour ma carrière professionnelle, pour ma réputation de scientifique, ce blog est relativement dangereux (relativement, car il ne contient rien de malhonnête) car, pour certains du moins, il fait de moi un « non-conformiste », un « chien fou ». Je ne pense pas exagérer beaucoup. J’ai déjà une réputation assez sévère et complètement fausse (enfin, je pense!) d’homme ambitieux, parfois carriériste… On m’a déjà prêté des objectifs stratégiques assez étonnants, totalement injustifiés mais surtout inquiétants: c’est donc bien comme cela que certains me voient. Pas tous heureusement. Il y a donc « un certain risque ».

J’étais confronté à un dilemme: soit assumer… soit tout détruire dans l’urgence, effacer les traces. Quitte à revenir sur les blogs avec un autre blog plus neutre, plus « anonyme » encore. Mais quoi. Reculer ? Fuir ? Abandonner mes positions ? Mon vocabulaire ne contient pas ses mots.

Par contre, j’adore la lutte quand elle est justifiée. La aussi, la question s’est posée: était-ce justifié ? Faire autant d’histoires (c’est le cas de le dire) pour un « bête » blog dans lequel j’accumule les notes les plus diverses: est-ce utile ? Mon ego surdimensionné a pris le dessus, mais pas seulement. Aussi une évidence: tenir un blog, c’est pour moi, une « autre façon de faire de l’Histoire », d’exercer mon métier, ma passion. Une autre façon heureusement détachée de l’univers glacé d’un académisme parfois un peu sec. Une autre façon de « vulgariser », d’expliquer à tous ceux qui me lisent ce que je fais, de mettre en contexte mes travaux, mes lectures, ce qui fait de moi un historien. Vous tous, pour la plupart, vous n’êtes pas de la profession: vous expliquer ce que je fais me semble essentiel et utile, ça fait partie de mon métier. Et pour les collègues, parler autrement ensemble ne me semble pas une mauvaise chose, non ?

Continuer m’a donc paru être une nécessité. D’autant plus que je n’ai, pour l’instant, trouvé AUCUN autre blog de chercheur médiéviste en pays francophone. Il y en a bien quelques-uns aux Etats-Unis ou en Angleterre, un ou deux en Italie (j’en ferai une note plus tard). Rien en France, rien en Belgique: pas un blog d’historien professionnel, et surtout pas de chercheur médiéviste.

Je continuerai donc. Avec le même langage parfois peu choisi, même si je ferai davantage attention à ne pas « accrocher » nommément des collègues à mon tableau de chasse: ce serait une faute déontologique et ça n’apporterait rien au blog. L’expérience de ces derniers mois m’a permis de mieux cadrer mon propos. C’est toujours de ma passion que je parlerai. J’y livrerai des bribes de moi-même, parce que je n’ai jamais découpé mon parcours d’existence en deux -vie d’historien et « autre » vie-, parce que je suis pétri de mon passé, de mon présent, de mon éducation, de mes études, de ma vie de tous les jours, mais aussi de cette histoire à laquelle je me consacre sans désemparer, de manière un peu obsessionnelle. Mais il n’y a pas d’autre façon de faire de l’Histoire.

Jouer au diariste ne m’intéresse pas: je ne ressens pas le besoin de raconter ma vie sentimentale, mes joies et mes peines, mon intimité. Le blog n’est pas pour moi un instrument de catharsis. Je ne me sens pas assez exhibitionniste pour faire du porno-chic ou du porno-trash comme certains, ça ne me dit rien. J’admire beaucoup quelques blogs d’humour décalés ou déjantés, superbes, mais je suis bien incapable d’en faire autant, il me manque de la « finesse » (en français dans le texte). Je ne me vois pas entreprendre de grandes discussions politiques: je n’ai pas assez de connaissances en la matière et surtout, pas le temps, hélas. Je n’ai pas non plus envie de virer au blog de geek: ce n’est pas mon boulot ni ma passion, juste un « moyen » certes génial, mais un moyen quand même. Evidemment, faut-il le dire, je ne ferai jamais concurrence aux blogs de dessinateurs, d’illustrateurs ou de photographes, même si, ici aussi, je suis en pleine vénération de ce qu’ils font et si j’essaye de participer aux commentaires par des interventions plus ou moins réussies.

Je vais donc continuer à faire de l’Histoire sur blog. A ma façon. Parfois anecdotique, parfois humoristique, parfois impertinent, parfois profond, parfois provocateur. Sans filet. Bah, soyons fous.

« Il faut savoir se vendre » (maxime tirée du petit livre rouge de l’ANPE/FOREM)

A la demande générale et de Guybrush en particulier, je publie le modèle suivant, d’une rare intensité humaine, tiré des pages 213-214 du remarquable « Parfait secrétaire » déjà cité, dû aux compétences du professeur Louis Chaffurin, agrégé de l’université et professeur à l’école des Hautes Etudes Commerciales (ça a changé, hein, les HEC). Je rappelle la date d’édition du dit recueil de formules d’où je tire ce modèle épistolaire: 1932. Hier, quoi. Le Moyen Âge était une blague.

« Une jeune fille écrit à une dame pour se proposer comme servante »

« Madame,

J’apprends que vous avez besoin d’une domestique et je viens vous offrir mes services.

J’habite X…, où mes parents sont cultivateurs. Je suis âgée de seize ans et très forte pour mon âge. Je n’ai jamais été placée, mais j’ai reçu une bonne éducation ménagère. Je crois pouvoir exécuter, à votre satisfaction, tous les ouvrages d’intérieur que vous voudrez bien me confier. Je sais nettoyer la maison, raccommoder et repasser le linge, faire un peu la cuisine.

Mes prétentions sont modestes; j’ai le vif désir de trouver surtout une place pour venir en aide à mes parents.

Vous pouvez demander au village, sur eux et sur moi, tous les renseignements que vous voudrez; je me plais à penser qu’ils ne peuvent nous être que très favorables.

Dans l’attente d’une réponse, veuillez agréer, Madame, mes respectueuses salutations.

(Ne pas oublier de donner son adresse et de signer lisiblement) »

Voilà. Mesdemoiselles, prenez-en de la graine. Accrochez-vous, il y en aura d’autres, cet ouvrage, c’est une mine.