Dès hier, Libération a lancé sa riposte à la fête catholique de Pâques, avec un petit dossier sur la confession catholique -qui connaîtrait un revival inattendu auprès des fidèles-, avec quelques petites vannes à la sauce Libé. Que ce grand journal défende avec sa verve habituelle, engagée et grinçante, les tendances anticléricales de la République sainte, laïque et apostolique, ça ne me dérange pas du tout, c’est même assez naturel. Mais le dossier « confession » pèche par quelques faiblesses difficilement pardonnables.
D’abord, j’aimerais que soient décrites toutes les sources qui ont servi aux journalistes pour qualifier ce renouveau (puisque Libé sur le web n’en dit rien): le leitmotiv du dossier serait-il seulement le produit de l’intuition du journaliste… ou bien des analyses statistiques et/ou sociologiques sont-elles à l’origine de cette prise de position ? Où sont les sources ? Sont-elles seulement cléricales ? Ca change tout, évidemment…
Ensuite… du point de vue historique, placer le grand moment de la confession en 1551, au concile de Trente, est une absurdité: la confession, née très tôt au sein des premières communautés chrétiennes et en usage surtout dans les milieux monastiques, a connu son essor essentiel et son heure de gloire au XIIIe s., lorsque l’Eglise, par un coup de génie politique et spirituel, s’est ouverte tout d’un coup aux masses des croyants laïques, par le biais de la prédication en langue vulgaire, par le biais des couvents de religieux mendiants implantés en ville, par le biais de la confession, qui leur étaient adressés directement. Tandis que les croyants se sont davantage accrochés à l’institution-Église en se l’attachant, par le biais des confréries, des confraternités, des métiers… autant d’associations laïques prenant une place essentielle dans l’ecclesia. C’est ainsi que les croyants sont devenus des fidèles -« fidélisés » à et par l’Eglise.
Mais les plus grandes faiblesses de ce dossier résident dans la pseudo-approche sociologique, qui manque de finesse et surtout de réflexions causales -je ne parle pas des analyses cléricales, elles aussi, par la force des choses, nécessairement subjectives. Raccrocher le renouveau de la confession actuel à la grande mode des déballages médiatiques actuels est facile: mais nulle part je ne trouve d’explication à tout cela. Pourquoi a-t-on besoin de ces grands et petits « déballages » ? Le constat ne se suffit pas à lui-même. Or, il y a des explications, on les trouve auprès des sociologues eux-mêmes.
Et d’abord, en explication ultime, le développement de l’individualisme, de la suprématie de l’idée individuelle et du rejet des grands systèmes de pensée, idéologies, jugés mortifères Pour faire court, la société ne veut plus d’une « pensée collective » mais se conçoit comme une somme de témoignages et de pensées individuelles. La société devient une somme d’individualités voire d’individualismes.
Au niveau religieux, ce phénomène trouve des retentissements encore plus forts. Lors du concile Vatican II, en pleines Golden Sixties, l’Eglise catholique avait voulu faire table rase, à la façon de l’époque, de longues traditions raccrochées alors au soi-disant obscurantisme médiéval alors qu’elles trouvaient leur expression la plus aboutie dans ce terrible XIXe s. moralisateur. Dans ce cadre, les grands responsables misèrent tout sur le collectif et passèrent au bleu les dérives individualistes. La confession individuelle fit partie de la charrette, elle qui visait, au XIXe s., à faire du curé de paroisse un peseur d’âmes et une épée de damoclès spirituelle et morale. Conçue comme telle, la confession n’avait en effet guère de raison de survivre au grand chambardement des années ’60. Les beaux meubles-confessionnaux qui ornaient les églises furent démontés et se retrouvèrent en salle de vente ou furent brûlés.
Mais… ces dernières années, les fidèles ont imposé un changement brutal à l’institution ecclésiastique (comme le reconnaît le clergé lui-même), en parallèle aux mutations individualistes: chacun se met à créer son propre univers religieux, reconnaissant tel dogme et non tel autre, tel sacrement et non tel autre, tel prêtre et non tel autre, au nom de son expérience spirituelle et de son jugement personnel. La crise de l’Eglise, la crise du religieux, c’est ça, ce n’est pas le retour des vieux démons d’institutions ecclésiastiques en mal de contrôle de la société… c’est plutôt la récupération du fait religieux par chacun qui y va de son analyse religieuse personnelle. Entre l’athée militant anticlérical (sorte de « religieux laïque ») et le super-catho tradi, se déclinent une infinité d’approches religieuses qui se traduisent par des comportements très concrets. Dans ce cadre, la confession individuelle des Catholiques est une des formes religieuses récupérées et exigées par certains auprès du clergé dans le cadre de leur propre processus religieux personnel.
Certes, cette théorie sociologique est probablement fragile sur certains points: ce n’est qu’une théorie sociologique, développée notamment par les sociologues du fait religieux (G. Davie, D. Hervieu-Léger, R. Lemieux, J.-P. Willaime…). Elle souffre certainement de ma propre interprétation un peu triviale. Mais elle a au moins le mérite de dépasser le simple constat d’une insoutenable légèreté, proposé par les journalistes de Libé.