France Europe en baisse…

Bon, ben, l’Union européenne, c’est cuit.
Tout ça ne m’amuse guère. Cela me fait penser à Bowling for Columbine, que j’ai enfin regardé hier soir. Pas que je sois un inconditionnel de ce film, je l’ai trouvé un peu caricatural et manipulateur. Mais il martelait une constatation en forme de vérité: si les Américains en sont là, socialement, à dégainer sur tout ce qui bouge, c’est qu’ils ont peur et que cette peur est soigneusement entretenue.
Je ne pensais pas que cette peur, que je commençais à percevoir en France, s’installerait aussi fort, aussi profondément. C’est chose faite. La peur de l’Europe, la peur de la fin des Etats-Nations, la peur d’un avenir économiquement troublé, la peur des « autres » hors d’Europe et en France, la peur de sortir des grandes lignes de la structure géopolitique du traité de Versailles…
Le vote « non », c’est, entre autres, à ce que j’ai entendu et lu ce soir, un vote des classes ouvrières, celles-là même qui achètent aux USA des semi-automatiques. A chacun sa façon de se défendre: ici, elles votent FN ou Besancenot, pas parce qu’elles sont irresponsables, du tout, mais parce que la peur les a saisis, peut-être la leur a-t-on insufflé. Et vient l’illusion que « tout geler » est mieux qu’avancer, qu’avec ça on va geler la peur aussi, qu’on va museler « les autres », en mettant dans le même sac le Medef et l’Europe, en agglomérant le gouvernement bancal de Raffarin et la construction d’un « autre chose, autrement » politique.
Et moi, c’est maintenant que je commence à avoir peur!
J’espère m’être trompé et me tromper encore. Très sincèrement!

La France romane

Cet après-midi, j’ai enfin visité La France romane. Une exposition impressionnante, relative à la vie et surtout l’art dans la France de l’an Mil, de la mi-Xe s. à la mi-XIIe s. Plus de 300 pièces uniques, que seul un grand musée comme le Louvre pouvait se permettre de rassembler, d’extraire des plus grandes collections du monde. Des manuscrits enluminés par dizaines, des pièces d’orfèvrerie époustouflantes, des statues sublimes, des chapiteaux de toute beauté, quelques objets du quotidien assez impressionnants… Le plus saisissant dans cette exposition reste cette débauche de pièces d’art, d’une finesse et d’une profondeur sans égal. J’en suis sorti étourdi, comme saoul, la tête trop pleine. Maintenant, tout ce que j’ai vu commence à infuser lentement dans mon sang, à se répandre.
Loin des commentaires plats et démagos de certains « guides » que j’ai entendus, au détour de telle ou telle salle, se moquer de la rugosité ou de la soi-disant malhabileté des artistes médiévaux (il faut se méfier de ces hâbleurs de salle, juste experts ès flatteries de leur auditoire)… loin de ces médiocres bêlants, lorsqu’on voit et revoit sur place ou encore dans sa tête, dans le catalogue (superbe, énorme, pas cher -je ne touche aucune commission ;-)), certaines de ces oeuvres, on se sent submergé par la sensibilité de leur créateur. Ces artistes maitrisaient l’essentiel des techniques de l’art, on en a mille preuves (comparez avec l’art byzantin et la façon dont il a été imité par les occidentaux, jusqu’à un réalisme glaçant) – mais ils n’en usaient que pour traduire leur perception du monde et du beau. Loin d’être un art fruste, il est d’une insondable profondeur, lourde et chaude.
Mais je parle trop: allez-y, allez la voir, tant qu’il est encore temps: elle se termine déjà ce 6 juin, hélas. Ce week end, plutôt que vous morfondre devant une télévision constipée de constitution, après ou avant avoir voté, évadez-vous au Moyen Âge roman. C’est probablement la meilleure façon de vous endormir heureux dimanche, quel que soit le résultat.

Oui

Ce midi, discussion autour du déjeuner, entre historiens, entre collègues, entre amis. Et d’emblée, pour moi comme pour bien d’autres de mes confrères, une certitude, une évidence: il n’y a de science qu’européenne. Certes, ce n’est pas un argument pour convaincre les tenants du « non » à la constitution, j’ai déjà dit il y a quelques jours ma vision de ce qu’est un texte de nature constitutionnelle et de l’utopie d’une « autre constitution ». Je veux plutôt livrer une profession de foi: sans cette Europe de Maastricht, de Nice, je ne serais pas ici, à vous écrire. C’est la grandeur et l’ouverture de la France européenne qui a permis qu’on m’enrôle, petit belge, comme membre d’une illustre organisation scientifique et, partant, comme fonctionnaire de la France. Sans l’Europe, les projets et les entreprises de mon équipe ne sont rien: au-delà des courses aux enveloppes budgétaires « de Bruxelles », ce qui permet à nos recherches d’atteindre un haut niveau scientifique (et dans ces disciplines des sciences humaines, le plus haut niveau), c’est qu’elles ont des accents et une structure européenne, que rien ne se fait sans Nicolangelo, sans Xavier, sans Jeroen, sans Frank, sans Allan, sans Chiara ou sans Hedwig.
J’ai beau parler avec le coeur à gauche, je suis plus européen que belge ou que français. Ce sera donc « oui ».

était-ce

Aujourd’hui, je vais bloguer quelques minutes de cette journée. Des minutes de rien du tout, mais aussi des minutes terribles.

Le TER de 9h40, à destination de Paris, avait démarré avec quelques minutes de retard, avec la bonhommie traditionnelle de la SNCF et, carré dans mon siège seconde classe, corrigeant des épreuves, je me réjouissais -entre autres- des heures d’études de manuscrits médiévaux à la BNF-Richelieu dont j’allais goûter chaque minute. La Beauce déroulait ses champs sous le soleil, on avait envie de rire avec le ciel. Puis un bruit sourd, un mugissement de freins, des pierres et des grenailles projetées à dix ou quinze mètres, une odeur de brûlé, une long arrêt, un silence de mort. La mort d’une vieille dame ou d’un vieil homme -je suppose que je ne le saurai jamais et puis, je n’ai pas envie de le savoir. Ne comptez pas sur moi pour vous raconter les détails sordides, je vous laisse aux torchons habituels. Ce que j’ai ressenti alors, c’est une étrange communion avec cette vieille personne brisée sous mon wagon. Pauvre être, dont la peau meurtrie avait dû connaître d’autres caresses que celles de l’essieu d’une motrice… Pauvre être assez triste, assez dégoûté, assez abandonné, pour se faire prendre sa vie par une machine.

Pendant que, comme à l’habitude, caquetaient quelques bourges fileuses du même âge que le pauvre corps épandu sous elle, qu’elles souillaient de leurs indigne logorrhée: il aurait fallu repartir, voyez-vous, ces dames avaient des expositions à visiter puis allaient manger au « Printemps » (je cite). Il fallait que la SNCF affrête un autre train pour les prendre en charge, mais que voulez-vous, ma chère, c’est l’anarchie, il n’y a plus rien qui fonctionne en France -et elles ont même réussi à parler de la constitution européenne (désolé, les amis, elles vont voter « non » ;-)). D’autres bons citoyens couraient le train, à l’affût du moindre ragot, cherchant à voir et entendre ce qu’il fallait voir et entendre. Ce sont les jeunes qui restaient les plus dignes.

Pauvre être. Oh, il ne s’agit pas de tomber dans les larmoiements de convenance. C’est ce que j’ai ressenti, c’est tout: je connais un peu la mort, là, elle était sous mes pieds et elle m’a jeté au visage l’inanité de nos vanités: à quoi bon nos piailleries, nos éclats de voix et nos remugles de pensée, si nous ne sommes pas foutus d’aimer assez encore nos parents, ceux qui nous ont, du moins je l’espère, tant aimés. A l’heure où je vous parle, une chair meurtrie attend dans une morgue de l’Essonne qu’on vienne l’honorer et l’enterrer, l’aimer une dernière fois. Pourvu que quelqu’un vienne.

Les béances de Wikipedia: vers une nécessaire professionnalisation des contributeurs ?

Klaus Graf, l’auteur d’
Archivalia
, est un des grands acteurs scientifiques de l’édition électronique historique et archivistique en Allemagne, porte-étendard des wikistes et autres bloggeurs du monde germanique des sciences de l’homme et des sociétés anciennes.

Et quand il s’inquiète de la non-utilisation par les wikistes de Wikipedia, pour leurs notices biographiques, des meilleurs et principaux instruments de travail scientifique disponibles pour ce faire, en l’occurrence la
Neue Deutsche Biographie
, son avis compte, bien plus que le mien -moi qui commence seulement à m’ouvrir au monde du wiki. Son analyse très fine est destinée, je le précise pour les futurs trolleurs, aux wikistes allemands eux-mêmes, sur un forum dédié à cela, afin de leur faire prendre conscience de la taille des problèmes.

Ce qu’il dit n’est rien d’autre que l’expression d’un malaise. Si Wikipedia -le système du wiki en général- veut trouver des lettres de noblesse, il faudra que les lecteurs/contributeurs connaissent et utilisent les instruments de travail scientifique les meilleurs et à leur portée, comme, pour les notices biographiques d’allemands, ce dictionnaire des personnalités germaniques. S’ils ne sont pas des professionnels de la connaissance, ils doivent le devenir.

Comme je le disais dans un tout récent commentaire à une note du
Figoblog
(encore lui), si je dois rester humble comme non-wikiste (pour l’instant), les wikistes eux-mêmes doivent l’être plus encore. Humbles, prudents, en définitive plus compétents.

Via Netbib weblog

Métablogage de luxe

Mes travaux sur les sources médiévales (mais aussi postérieures) m’ont convaincu que c’est la fonction que l’on attribue à un outil d’écriture (comme un registre de comptes ou un cahier intime…) qui conditionne son utilisation: la technique mise en oeuvre y est souvent adaptée aux objectifs personnels. Je n’oserais cependant pas avancer qu’il n’y a aucun déterminisme de l’outil, malgré tout: ainsi, la spécificité technologique (voire esthétique) des skyblogs induit des comportements de rédaction particuliers, voire influence la fonction du blog. En fait, un blog est le produit de l’interaction de la fonction qu’on lui assigne et de la technique qui est disponible. Ainsi mon cher Blitztoire, auquel j’ai donné une certaine fonction (ah ah, mais laquelle ? je vous le demande, hmm ?), qui se trouve cependant conditionnée par la (triste) technologie proposée par 20six. Si je passe sur une autre plateforme (Lodel 0.8 par exemple ? mmm ?), ce blog en sera modifié quant au contenu. En mieux j’espère. 😉
Rien de tel qu’un peu de métablogage pour terminer (?) la journée. Le tout est de ne pas méta(dé)bloguer comme certaine élite à la finesse hippopotamesque, hélas originaire de ma plate patrie (merci contingences -en marge, au 3 mai 2005).

‘le retour à la terre’ (revu)

Une belle citation, trouvée au hasard de mes lectures, tirée de la règle monastique de Ferréol, évêque d’Uzès, au VIe s.:

« paginam pingat digito, qui terram non praescribit aratro ».

Ferréol, Reg., 28, 10.

Qu’il écrive des pages de sa propre main, celui qui n’est pas capable de se consacrer à la terre par la charrue.

Une autre traduction plus alambiquée mais, selon moi, peut-être plus conforme au jeu de pensée de l’auteur:

Qu’il peigne une page avec son doigt, celui qui, bien supérieur, ne peut écrire des sillons dans la terre avec son araire.

Une autre suggestion d’un latiniste distingué ?
addendum du 18 mai 2005, 14h08: comme le fait judicieusement remarquer Le Briographe dans son commentaire, cette note est absconse. Qu’on m’en excuse: je suis assez surmené pour imaginer que tout le monde puisse comprendre mon sabir médiéviste. Je me repens.
Ce texte: de quoi s’agit-il ? D’une règle monastique, prévue pour organiser la vie des moines au début du Moyen Âge. Or, une des premières caractéristiques de ces règles, et de celle-ci en particulier, est d’insister sur l’obligation du travail manuel, surtout dans les champs, d’où la mention de la charrue (ou araire). Ici, Ferréol ajoute avec un certain sens de la formule que si le moine n’est pas capable physiquement de s’exercer à des travaux manuels, il lui reste à copier des manuscrits ou écrire des textes, ce qui n’est pas si mal, mais quand même moins bien que le travail de la terre. Une sorte d’inversion des valeurs par rapport à notre temps où le travail intellectuel est survalorisé par rapport au travail manuel (quoique, quand on voit les complets anthracites qui fourmillent dans les banques, on se demande à quel genre de travail ils se consacrent…).

Patience (encore)

Tout cela n’est pas sérieux: plus une minute à moi, ou plutôt à vous… Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir des choses à vous raconter: une soirée d’anniversaire infiltrée par des politiciens véreux, clientélistes et sérésiens ; une conférence donnée en italien alors que je ne parle pas l’italien ; mes réponses au fameux questionnaire « que lisez-vous » que m’a transmis le_plume ; mes considérations personnelles sur le traité constitutionnel européen (eh oui, moi aussi…) ; quelques réflexions sur les écrivains contemporains de 14/18 ; ma vision « en mouvement » de wikipedia, et caetera… Tout cela viendra en son temps, la semaine prochaine j’espère. Et demain, pour quelques jours, je repars à l’assaut de mes moulins favoris: certains fonds d’archives au fin fond de l’Aveyron… Je les connais déjà un peu, je vais enfin les revoir. C’est comme retrouver de vieux amis: on se réjouit de les revoir, il y a une part de trouble lors des retrouvailles puis, si tout va bien, on les redécouvre différemment, plus profondément. Et tout au fond, on en extirpe, comme disait Georges Duby, « l’homme vivant ». Ca, c’est pour les jours qui viennent.
D’ici là, je sollicite donc votre indulgence et votre patience. Encore…

Le jeu de l’ego

Un colloque scientifique passionnant à l’affiche les 18 et 19 mai: Les écritures d’écran. Histoire, pratiques et espaces sur le Web, à Aix-en-Provence, à la MMSH, sur les pratiques d’écriture sur le web, la production et la création de « l’écrit d’écran », en rapport avec la sociologie, l’histoire… A première vue, une réunion scientifique résolument « ouverte ». Seule excroissance étrange due à l’effet de mode, mais somme toute bienvenue, une table ronde sur les blogs.
Et c’est là que je regrette mon anonymat, même s’il est très relatif: il ne m’aurait pas déplu d’y participer en tant que « Zid réel », à ce grand raout. Eh, eh… l’anonymat fait mal à l’ego. Il a beau préserver celui qui en use, il le condamne aussi à n’être qu’un personnage virtuel, à la manière de l’auteur du défunt Journal de Max ou du dessinateur Frantico dont les lecteurs ont même contesté l’existence!

Palabres

Qui osera me dire, les yeux dans les yeux, que les intellectuels ont la vie facile, l’arrière-train vissé sur une chaise de bureau capitonnée et couinante, le nez poussiéreux chaussé de culs-de-bouteille, un verre de millésimé capiteux dans la main gauche et un stylo plume dans la droite, plongé pour la journée dans ces vieux grimoires que Google ne numérisera jamais ? Qui osera me dire ça, à moi qui vient de globe-trotter (enfin, d' »Europe-trotter » du moins) pendant ces dernières semaines, de réunion en colloque, de table ronde en conférence ou de journées de travail dans les dépôts d’archives ou bibliothèques étrangères en longs palabres?
Longs palabres: j’en vois qui froncent le sourcil, le sourire en coin: on imagine des discussions des heures durant autour de la couleur du cheval blanc d’Henri IV. Eh bien non. Ces discussions-là se tiennent aussi, mais rien à voir avec les palabres. Palabres: il s’agit de s’affronter pour gagner, gagner du terrain, gagner de l’estime, gagner le projet. Affaires de pouvoir, pouvoir au petit pied, petit pied d’historien. On discute. Ca prend du temps. Ce sont des histoires d’homme et non de réflexion. C’est à qui organisera et présentera le mieux sa pensée. A qui l’exprimera avec le plus de force ou de conviction. Les idées fusent comme de vieux obus. Une fait long feu ; une autre éclate et on en balaie les restes fumants ; une autre est adoptée, on la garde au chaud. Puis tout d’un coup, un des palabreurs fait une avancée, il impose une ligne et, miraculeusement, ça plaît. Les idées encore tièdes y sont rapportées. Les autres suivent. Voilà que des moyens se débloquent, voilà qu’un tel apporte une proposition d’apport de personnel (les historiens sont probablement les derniers à ne pas se complaire dans l’hypocrisie de l’expression « ressources humaines »), un autre une proposition de local dans lequel développer le projet. On utilisera tous les grands mots, on invoquera la grande Europe (avec ou sans constitution…), on tirera des plans sur la comète. On y croit, les palabreurs deviennent des partenaires, l’air vibre. Enthousiasme, engouement, engagement.  Le projet, d' »hypothétique », devient « futur », puis enfin, il « existe ».
Restera le dernier travail d’Hercule: trouver « quelqu’un qui va porter le projet », comme les nouveaux partenaires disent pudiquement. Un chef, quoi. Pour ne pas sentir la belle exaltation retomber, on se décide à le choisir « la prochaine fois ».
Les palabres, c’est épuisant, c’est fascinant.