Grosse Fatigue

Désolé, mes bons amis lecteurs, une petite baisse de régime bloguesque sévit depuis quelques temps… Les raisons ? Du travail à n’en plus finir, une migration de base de données scientifiques à assister pour mon équipe, l’arrivée des mois de « vacances » à la fois attendues et honnies (je sais, je suis un peu pervers), plein de paperasse de luxe, pas assez d’heures de sommeil du tout (la preuve, regardez l’heure!)… mais aussi une volonté de recentrer ce blog, de le réorganiser, peut-être d’en changer le nom (peut-être ?), de le refondre et le republier avec l’aide de quelques grands noms de l’édition et de la bibliothéconomie électroniques (ça c’est de l’effet d’annonce!)…
Là dessus, il me faut encore prendre un nom de domaine (mais j’hésite toujours à changer de nom, merci zaza le zirafeux ;-)), louer l’hébergement (ça je vois, la carte bleue est sur la grille de départ), proposer des idées de lay out à mes amis éditeurs, récupérer dans des milliers de photos numériques celle ou celles qui fera/feront de ce nouveau blog une merveille esthétique, etc…
Après ça, promis, ça va dépoter. Patience.

Ménestrel: un blog d’informations pour médiévistes! Enfin!

Voilà que paraît sur la toile, depuis quelques heures à peine et enfin, le blog de Ménestrel, cette association de médiévistes voulant mettre en commun sur l’internet, en libre accès, ressources et compétences.
Depuis le temps qu’on l’attendait!
Je ne peux faire mieux que reproduire le texte inaugural:

Voici deux ans, pour compléter les services offerts par les diverses rubriques du site, il a paru opportun à Ménestrel d’essayer d’établir un dialogue plus direct avec ses « lecteurs » en mettant en ligne une liste de discussion conçue tout d’abord comme un espace d’échange d’informations.

Après avoir fait circuler plus de 600 messages d’informations diverses, cette forme de diffusion nous paraît devoir être revue et remplacée par un nouveau moyen de transport de l’information qui est celui du Weblog. Plus souple, il privilégie un accès volontaire alors que celui de la liste s’apparente plutôt à la façon dont les boîtes aux lettres recueillent, pêle-mêle, le courrier attendu et les prospectus non désirés.

En adoptant la forme du Weblog, on change finalement de manière de communiquer autour des thèmes médiévistiques qui nous occupent. On ne reçoit plus chez soi mais on sélectionne sur le site du blog Ménestrel ce qui nous intéresse. On regarde les annonces et les commentaires et l’on y répond, d’une manière à coup sûr plus agréable qu’auparavant.

Ce blog ambitionne d’être le premier vecteur pour des informations sur les congrès, colloques, séminaires, rencontres… qui peuvent trouver ici une première et rapide voie de diffusion avant d’être intégrés d’une manière plus formelle à la rubrique <http://www.ccr.jussieu.fr/urfist/menestrel/medcoll.htm> correspondante du site. Il veut également servir de passerelle entre les chercheurs pour faire circuler des demandes sur tel ou tel point d’une recherche sans pour autant servir de  » machine à répondre  » aux questions les plus diverses sur le Moyen Âge.

Il veut aussi – pourquoi pas – se trouver à la naissance d’échanges fructueux entre spécialistes des divers rivages de la médiévistique.

Et maintenant, il faut que ça marche. Il faut que les médiévistes s’impliquent et participent à l’entreprise. Retroussons nos manches!

Disséquer les reliques

Un dossier intéressant dans Libé, pour une fois qu’un article de journal ne se gausse pas grassement de ce qu’a été la dévotion de nos ancêtres (si, si, les vôtres aussi) envers les reliques des saints. Où l’on montre des médecins se pencher sur ces vénérables bouts d’os, afin de les passer au fil de la critique et de l’analyse médicale, tentant de comprendre comment on a maquillé tel saint cadavre ou fait d’un ossement de canidé une pièce de grand attrait pour la dévotion.

Du sang, de la sueur et des larmes mais pas de grisbi

Pour m’aider à compléter ma note précédente, un bon clerc de Langres a ajouté peu après 1513, sur le folio 16v, resté vierge alors, du cartulaire du chapitre cathédral de Langres, les quelques mots suivants:

« Communent bien souvant en ma bourse n’a point d’argent

d’or d’argent ne de monnoye dont je n’ai pas au cueur

grant joye […] »

H. Flammarion, Cartulaire du chapitre cathédral de Langres, 2e éd., Turnhout, 2004, p. 34, n° 3 bis.

Toujours fauchés, rien de neuf sous le soleil… 

Du sang, de la sueur et des larmes

Souvent les contempteurs des chercheurs salariés de la fonction publique mettent en avant notre belle vie, le fait que nous n’ayions « pas d’horaires », notre traitement qu’ils jugent déjà « bien suffisant » pour ce que nous faisons… Ils rêvent de nous payer « au résultat », de nous coller une pointeuse, de nous mettre au régime du privé… Voilà de quoi éructer. Commençons par le début. Certes, ils n’ont pas totalement tort: certains chercheurs ont abusé et abusent. Mais c’est une minorité.

D’abord, les vrais chercheurs, notamment en sciences de l’homme et de la société, sont traités comme des chiens par rapport au travail qu’ils fournissent. Ah, certes, c’est une belle vie, je fais ce que j’aime, ce que j’ai toujours rêvé de faire. J’en ai assez bavé pour cela, comme tous mes amis, passés les uns ou les autres des prépas aux grandes écoles ou à la fac (4, 5 ans), puis à l’agrégation ou au capes, puis à 4 ou 5 années de préparation de thèse (soit payé au smic soit en parallèle à des fonctions d’enseignement dans un lycée ou un collège…), pour enfin sortir docteur et donc nulle part, espérant alors être élu maître de conférences à l’université ou encore chercheur dans une équipe CNRS, après de nouveaux concours (15 appelés, 5 élus…, les 10 perdants se retrouvent au lycée à Versailles ou au collège à Sarcelles, surdiplomés et dégoûtés). Mais tous vont jusqu’au bout et se battent comme des lions, mangeant de la vache enragée et avalant des couleuvres, parce qu’ils y croient, parce que c’est leur passion, parce qu’ils n’envisagent pas d’autre vie que celle-là, eux et leur passion. Ces gens-là, mes collègues et mes amis, je les admire.

Les happy few qui se retrouvent payés pour faire ce qu’ils aiment -et je suis toujours émerveillé de pouvoir en être- se mettent alors au travail. D’arrache-pied. Les uns au CNRS s’appliquent à la recherche pure et à l’administration de la recherche avec parfois un peu d’enseignement, les autres à l’université joignent enseignement et recherche. Ils n’ont pas d’horaires, en effet… quand je rentre de mon unité de recherche, mon laboratoire, il est souvent bien tard et la journée n’est pas finie, il m’arrive comme tous mes collègues de travailler jusqu’au milieu de la nuit pendant que le contempteur lambda se délecte des circenses de TF1 en bouffant du panem. Ces heures-là, comme les heures du week end, elles ne sont pas payées. Ou plutôt, on ne me les paie pas, c’est moi qui les paie, cash, du prix de ma santé, des heures arrachées à la vie de famille ou aux amis. Mas pourquoi une telle folie ? Plusieurs raisons: la passion d’abord et contrairement à la passion amoureuse qui bien souvent s’essouffle après quelques mois, années ou décennies… la passion de la recherche ne s’éteint jamais et il arrive que je croise en bibliothèque des chercheurs de 75 ou 80 ans, toujours au travail, les mains tachées et les yeux brûlés, mais plus passionnés que jamais. Autre raison: la recherche est de plus en plus complexe et exigeante et hélas, la seule façon (ou une des seules façons) d’arriver efficacement à réaliser nos objectifs est d’étendre les plages horaires de travail.

Notre traitement. Et là, je suis encore plus amer, quand on nous critique. Certes, nous sommes payés normalement. Mais toute notre recherche, il nous faut l’assumer nous-même financièrement. Certains ont la chance d’avoir des laboratoires assez solides financièrement pour leur rembourser frais de déplacement et couts de colloques… Mais la plupart des chercheurs sortent tout de leur poche, et cela chiffre parfois. Sans oublier la nécessité, notamment pour les chercheurs de province, de se constituer une bibliothèque de travail (l’idéal est d’y consacrer 300 euros par mois, ce qui signifie de un cinquième à un septième du traitement moyen) (les chercheurs parisiens ont la BNF, heureusement… mais cela est compensé par le coût de la vie et le coût des logements à Paris). Bien des collègues ont des petits boulots d’appoint, en plus: faire le nègre pour un grand éditeur en corrigeant des épreuves ou rerédigeant des déjections littéraires ; rédiger des manuels ou des livres de commande « qui se vendent bien », juste des oeuvres alimentaires sans classe ; enseigner comme vacataires dans des écoles ou des universités (beaucoup de travail pour être payé tard et très mal) ; courir les jetons de présence dans les commissions et jurys… Ce n’est pas qu’ils soient obnubilés par l’argent (ils auraient fait un autre métier alors!) mais plutôt qu’ils doivent nouer les deux bouts par tous les moyens, surtout s’ils sont le seul soutien financier de famille… ces expédients aussi prennent du temps, que l’on grignote sur la nuit, les week ends…

Il y a quarante ou cinquante ans, être chercheur en sciences de l’homme et de la société suscitait le respect et le niveau de vie qui découlait de ces fonctions était plus qu’appréciable (trop peut-être) – le balancier a filé de l’autre côté avec une démesure encore plus forte et maintenant nous voilà dans une triste situation. Etrangement, il y a de plus en plus de jeunes candidats chercheurs toujours plus brillants. Etrangement, ils se battent plus que jamais. Une seule chose les anime: la passion de la recherche. Elle restera, malgré tout. Et si nous perdons un jour santé, argent, reconnaissance, voire le pire: la famille, malgré cela, il nous restera toujours cette lueur dans les yeux qui nous rend si reconnaissables.

La fièvre de l’archive

Une note d’une historienne anglo-saxonne, bienvenue en cette période surchargée de l’année pour un pauvre médiéviste pressé de toutes parts: mais pas n’importe quelle note! Où l’on voit que nous sommes tous, historiens sur le terrain, unis dans la même passion, la même obsession, la même perversion! L’Archive!

Anagogie

Istanbul est derrière moi. Pratiquement une semaine au coeur d’un autre monde, comme le reflet libre du nôtre. Istanbul, c’est une ville d’Europe, sale et pouilleuse, aux odeurs fortes, âcres de transpiration et de crasse, comme l’était Paris ou comme l’était Londres, à coup sûr, il y a soixante ou quatre-vingts ans. Istanbul, c’est comme le reflet de ce que nous avons été. Avec un supplément d’âme, une frénésie de vie. Rome reste ma favorite et Istanbul est devenue ma sauvageonne.

Ma plus grande émotion de ces dernières semaines, peut-être de ces derniers mois, je l’ai vécue au soir de la première journée de congrès quand, avec quatre nouveaux amis, je suis arrivé, au milieu de la nuit, par delà  de sombres coupe-gorges, à la Mosquée Suleiman. Des mouettes dessinaient de blanches arabesques sur le ciel étoilé, autour des minarets dressés comme des fantômes. Il faisait bon. Nous pûmes entrer, la mosquée était ouverte, vide et moite et quelques musulmans étaient en prière. Une longue mélopée, modulée et millénaire, flottait sous la coupole zébrée d’où descendaient, comme des fils des parques, des dizaines de longs filaments soutenant d’immenses luminaires à hauteur d’homme. C’est là que, presque tremblant, j’ai ressenti la beauté de l’Islam, le pourquoi de ces longues passions, lorsque cette voix de femme, superbe et douce, jeune et amoureuse, chantait le Coran. J’avais déjà, depuis longtemps, ressenti et je ressens la beauté d’une esthétique du christianisme dans les grandes et petites liturgies, j’ai eu et j’ai l’intuition du sens ou du sentiment anagogique et ainsi accepté qu’il y ait autre chose que des jeux de pouvoir et des querelles de préséance dans les mondes spirituels et religieux « d’avant »: la quête du sacré, en quelque sorte. Dans la mosquée Suleiman, ce soir-là, j’ai perçu une quête similaire avec ce chant sous ces voûtes, aussi poignant qu’un salve regina dans l’église froide d’une abbaye bénédictine, au coeur de la nuit.

Qu’on le veuille ou non, notre monde s’est pénétré de sacré et ces aspirations expliquent bien des choses. L’histoire ne se comprend pas seulement à coups de logique cartésienne.

Voir Istanbul et… revenir!

Demain, à cette heure-ci, je contemplerai les rives endormies du Bosphore. Un « tout petit » congrès de médiévistes français à Istanbul -y verrai-je certains des lecteurs de ce blog ? ce serait amusant….

La grande question: reviendrai-je et si oui, dans quel état ? En effet, un charter d’Onur air a été affrété pour conduire la moitié de la France médiéviste en Turquie, puis la ramener. Oui, oui, Onur air, cette compagnie à laquelle la plupart des pays d’Europe avaient, il y a à peine un mois, refusé des autorisations de décoller et d’atterrir sur leurs aéroports parce qu’un de leurs avions n’était pas en très bon état de vol… Restons optimistes: l’avion, s’il tombe dans la mer, ne coulera peut-être pas tout de suite. Et puis, le malheur des uns fera le bonheur des autres: si ça se trouve, l’université et le CNRS vont recruter en masse des médiévistes dans quelques semaines. Dommage, je n’en profiterai pas: je serai dans l’avion.

Ensuite, si on échappe à la catastrophe aérienne, il restera qu’on arrive en Turquie. En Turquie! En Turquie, venant de France, quelques jours après le référendum. Là aussi, restons optimistes. Va falloir faire goûter les plats qu’on nous servira. J’espère qu’on nous distribuera des gilets pare-balles. Je me demande si je ne vais pas parler flamand sur place et coiffer une casquette des diables rouges: les Belges, eux, ont dit « oui » !

Ceci dit, je ferai tout pour revenir, lundi prochain. D’ici-là, soyez sages et patients.