Traversée du désert

Je suis bien revenu du bagne languedocien, mais hélas, je n’ai guère de courage pour vous écrire une nouvelle note pour l’instant… C’est que, voyez-vous, un médiéviste est aussi un homme et, ô surprise, je suis les deux. Quelques ennuis personnels, si je puis me permettre un euphémisme.
C’est un peu dommage que je ne puisse fêter mieux l’anniversaire de ce blog… ce n’est que partie remise.

Départ

Ah, j’oubliais. J’ai beau avoir retrouvé le chemin du blog, me voilà déjà contraint et forcé de partir. Ca s’appelle « des vacances ». Je n’ai jamais réussi à comprendre exactement à quoi ça servait, mais le concept m’intéresse. Alors chaque année, sans y croire vraiment mais en tentant de ne pas jouer au mécréant de luxe, je pars. Ici, c’est pour un petit bled appelé Bizanet, près de Narbonne. Départ demain. Je dis ça au cas où vous voudriez venir me tenir compagnie, ce qui ne me déplairait pas outre mesure, vu que je vais normalement passer quinze jours sur place, sans connection internet, sans manuscrit, sans collègue. Il paraît que je vais m’y reposer. Je suis inquiet.
Donc, sauf miracle (c’est-à-dire cybercafé à Narbonne, j’essayerai quand même d’y passer, vous pensez bien!), je vous abandonne encore pendant quinze journées. Mais à mon retour, j’ai bon espoir de vous accueillir dans mes nouveaux locaux 😉
Bonne vacances, donc, comme on dit!

Encore et toujours Wikipedia!

Et encore un pavé dans la mare de
Wikipedia
… Un compte rendu assez dur d’un scientifique allemand, Bjoern Hoffmann, traîne l’entreprise collaborative -version allemande, sur dvd- au banc d’infâmie. Il décortique trois notices historiques, l’une consacrée à l’Historikerstreit allemand, l’autre au mercantilisme et la troisième à la querelle des investitures. Si les grandes lignes de la présentation des trois sont correctes (sauf peut-être le mercantilisme), il manque à ces petites synthèses une réelle envolée, une vision d’ensemble, une structure claire. Et pourtant, le recenseur le reconnaît lui-même, l’entreprise est remarquable par son envergure, son ouverture intellectuelle, son désir d’ouvrir la rédaction de la connaissance au plus grand nombre. L’auteur stigmatise l’impossibilité d’utiliser ces notices au niveau scientifique…
Faut-il cependant en conclure que, tel quel, Wikipedia est « juste bon pour le grand public » ? Qu’on peut lancer collégiens et lycéens, retraités et amateurs distraits sur ces pages, en se disant que les scientifiques, eux, doivent s’en défier et préférer leurs immortelles oeuvres ? C’est un peu gros, quand même. A quoi servirait la recherche si elle n’avait pas pour objectif de nourrir l’appétit de savoir de la société qui nous paie ?
J’irai donc plus loin que l’auteur du compte rendu: la piètre qualité voire les erreurs de certaines notices ne peuvent se justifier par le label en forme d’auréole : « destiné au grand public ». Ce que le « grand public » lit doit être d’aussi bonne qualité que nos publications scientifiques en interne -et là dessus, quand je lis les énormités et les raccourcis des manuels d’histoire de collège et de lycée, je suis encore plus choqué et encore plus intransigeant. Où en serait-on si les profs de langue germanique enseignaient l’allemand de l’époque de Bismarck ? si les profs de math et de physique dédaignaient les dernières grandes avancées en la matière ? Pour l’histoire, il devrait en être de même. Manuels, encyclopédies, dictionnaires doivent tenir un très haut niveau, nécessairement.
Alors, Wikipedia, une utopie ? Pas sur. L’idée est bonne, il reste à bien la concrétiser, plus efficacement. Un encadrement de chercheurs spécialistes, un comité éditorial peut-il redresser la barre en aiguillant les contributeurs ? Leur proposer des structures plus adaptées, des pistes encore inexploitées ? Et pourquoi pas un échange dans ce sens ?

Un rêve d’historien

Trop souvent, l’homme a tendance à focaliser sa réflexion sur quelques-uns parmi ses congénères. Il les choisit grands et forts ou puissants ou beaux ou riches et il leur fait porter le poids du globe, à leur insu. Des héros ou des antihéros qui cachent la forêt. Il en est ainsi dans la perception que nous avons de l’histoire. Pour bien des contemporains, être historien, c’est raconter la vie d’un grand homme, dresser la biographie d’une personnalité d’exception. Je l’avoue: j’aime aussi ces récits hagiographiques, ils me divertissent et parfois me nourrissent. Mais ce n’est pas cela, l’histoire. « Il faut partir de l’idée que l’homme en société constitue l’objet final de la recherche historique. Tel est le premier principe: l’histoire sociale en fait, c’est toute l’histoire » (G. Duby, Des sociétés médiévales. Leçon inaugurale au collège de France prononcée le 4 décembre 1970, Paris, 1971, p. 13). Ce qui m’importe, ce qui compte pour nous, historiens -en tout cas, ce qui devrait compter-, c’est l’histoire des hommes ensemble, de tous les hommes, ceux-là même qui font bouger le monolithe du monde, comme une gigantesque lame de fond.
Quand, sur les quais de gare, au lieu de piles funèbres des ixièmes biographies du Général, de Pierre Tchernia ou de Raspoutine, au lieu des dégoulinants da Vinci Code et autres révélations sur le trésor des templiers, quand trouvera-t-on des essais sur les religions du XVIe s., sur la femme au Moyen Âge, sur les corps meurtris de nos aïeux au travail qui dans les champs, qui dans les mines, il y a deux siècles ? Il y a tout un cheminement, toute une révélation que nous historiens devons mener, et ainsi amener tous et chacun à lire l’histoire des hommes plutôt que l’histoire, nécessairement fantasmatique, de certains hommes.

Le feu roulant de l’Ecole des Chartes

L’Ecole nationale des Chartes, ce repaire du savoir qui fut il y a quelques décennies traîné dans la boue par les « historiens-trop-bien-pensants », trop haut-perchés sur leurs colonnes de stylites et crachant par terre en s’ébrouant, cette école-là a pris ces dernières années une belle revanche, signant le retour tant attendu d’une érudition intelligente. Ces dernières années, elle a pris une avance incontestable en matière d’édition électronique, réléguant à des longueurs et des longueurs tous ses concurrents. Encore une nouvelle longueur d’avance, et je sais que que ce n’est pas la dernière, avec la toute récente édition d’un obituaire (registre recensant les défunts bienfaiteurs d’une maison religieuse, dans l’ordre de leur date de décès, afin de célébrer des commemorations religieuses en leur honneur à ce jour anniversaire), mais aussi d’un recueil de formules médiévales (modèles de lettres/chartes, cf ce que j’en disais ici). Et enfin, la publication des actes d’un grand colloque international sur la langue des actes (des chartes), sous Lodel, comme le souligne justement Manue du Figoblog (merci pour l’info!).  Cette dernière publication est la plus importante, même si elle est la moins impressionnante au premier regard. Il faut savoir que la Commission internationale de diplomatique est une institution impénétrable, d’un élitisme consommé, engoncée dans une érudition encore dix-neuvièmesque par certains aspects, mais en pleine mutation sous la pression de quelques personnalités scientifiques brillantes. Cette commission vénérable organise donc des grands messes de la diplomatique que sont ses colloques internationaux. Et le XIème congrès, qui s’est tenu à Troyes en 2003, est publié en accès libre, complet, sur support électronique, ici-même, grâce à l’Ecole des Chartes. Aucun autre colloque médiéviste d’importance n’a encore eu cette audace jusqu’ici, à ma connaissance, en France voire en Europe. Aucune grande manifestation scientifique en histoire médiévale n’a, il me semble, joué cette carte de la publication électronique libre et complète. C’est une première et elle pèse d’autant plus qu’elle concerne un congrès de la CID et qu’elle émane de l’Ecole des Chartes. Il va falloir penser l’édition électronique autrement et absolument, chez les médiévistes.

L’ancien monde se dépouille

Et le nouveau monde sort lentement de dessous les hardes de l’ancien. Il faudra encore du temps. J’ai encore quelques notes à confier au vieux monde, mais ce sont les derniers feux.
Je n’ai plus guère envie d’ajouter grand chose à ce blog vieux depuis que la perspective d’un nouveau a point à l’horizon. Il a fallu longtemps pour qu’il éclose, mais je pense qu’il est bien là, dans ma tête, pour l’instant. Et, c’est bien naturel, je n’ai plus guère envie d’écrire dans l’ancien. Alors, le temps que le nouveau sorte de ses couches virtuelles, j’ajouterai à celui-ci quelques notes du quotidien plutôt que le laisser en déshérence.
Donc patience. Dans quelques semaines, probablement pour le premier anniversaire de ma présence ici-même…
D’ici là, je ne vous laisse pas.
Et avant tout, une question, la dernière: le nouveau blog devra-t-il s’appeler Blitztoire, comme l’ancien ? Histoire de faire continuité ? Ou bien faut-il consommer la rupture avec un autre intitulé plus « médiéviste » ? Que faire ? Voilà l’occasion de me titiller, mes amis! N’hésitez pas!