Tout chercheur devrait enseigner, fût-ce quelques heures par an. J’ai la grande chance de pouvoir dispenser quelques cours à la fac, une très agréable fac de province, à l’ambiance presque familiale… J’y dis ma recherche, je livre mes résultats à l’épreuve des étudiants, je prends du recul par rapport à mes thématiques ultra-spécialisées, je retrouve le contexte, le cadre, les lignes de faîte qu’il ne faudrait jamais oublier lorsqu’on plonge dans les abysses des fonds d’archives… Le plaisir du contact avec les étudiants aussi, leur enthousiasme parfois…
Et le jeu de l’enseignement, qui n’est cependant pas qu’une partie de plaisir : fini, le temps ronronnant où le professeur impressionnant de tout puissance déversait un tombereau de cours préparé vingt ans auparavant, avec un ton monocorde et distant, ex cathedra, à un parterre clairsemé d’étudiants pétrifiés de respect ou de terreur, parfois les deux… Maintenant, c’est un jeu parfois, une lutte souvent, un défi toujours : emporter l’auditoire qui bouge comme une houle atlantique, y jeter l’huile de l’enthousiasme et de la force de persuasion pour apaiser les vagues et faire entendre sa voix !
Oh, j’ai de la chance, mes auditoires ne dépassent guère la trentaine d’étudiants et je sais que maîtriser une salle surchauffée de plusieurs centaines de têtes à faire, ce n’est pas la même partie de plaisir ! Mais, il n’empêche, je ne le boude pas, ce plaisir. J’aime ça, je pense, ce défi qui rapproche l’enseignant de l’acteur de théatre qui veut convaincre, qui doit convaincre, et qui pour ce faire doit nouer une relation avec son public, lui parler avec la voix et les mots tant attendus. Quand mes étudiants (car toujours l’enseignant s’approprie ses étudiants, et inversement) ont les yeux qui brillent en me regardant quand je parle, je suis heureux, je sens que « ça » passe, que je n’ai pas tant travaillé toutes ces années pour rien. Alors, je sais que j’ai gagné ma journée.