Réinventer « l'historien et l'ordinateur » ?

Quelques jours après le colloque de Florence, un petit point. Cette réunion scientifique a apporté beaucoup à propos de  l'écriture électronique de l'histoire. On y a dit l'effroi face aux prises de position des historiens en la matière, jugées à juste titre insuffisantes: travaux peu importants malgré les apparences, utilisation moindre, potentialités inexploitées. Et puis, il semblerait que le public ait changé, on toucherait peu les spécialistes, voire de moins en moins… et de plus en plus le grand public! La situation semble d'autant plus complexe que certains historiens déçus en reviendraient presque au papier. Le public professionnel semblerait plus résigné que convaincu… La publication électronique n'est-elle donc qu'une mode, dans le milieu des chercheurs historiens?

Prétendre cela serait une façon aisée, superficielle, irresponsable, de régler le problème de l'édition électronique, le recours au web dans les disciplines de l'historien et de l'archéologue.  Le public change, il est plus large certes, mais est-ce un tort? Non, loin de là: c'est bien notre vocation d'ouvrir nos travaux au commun des mortels, au delà de la sacrosainte vulgarisation, ou pour parler plus poliment, « divulgazione ». Trop longtemps on a fait deux poids deux mesures, d'une part  une recherche scientifique de haut niveau, de l'autre une divulgazione, vulgarisation pour le grand public, et entre les deux, le Mur. Fort heureusement, l'idée que le Mur puisse être abattu commence à faire son chemin, la divulgazione commence à être valorisée.

Ce qui n'a pas été résolu, ce dont on n'a pas parlé, c'est du problème de la validation des informations publiées sur le web, leur reconnaissance scientifique. D'habitude, les travaux des chercheurs sont validés par des comités de lecture qui donnent leur aval à une publication papier, dans une collection ou une revue sur papier, traditionnellement. Le drame avec l'électronique, c'est que bon nombre de chercheurs plus ou moins reconnus peuvent s'auto-publier sur le web, pratiquement sur des sites persos, sans qu'aucune validation soit accordée par la communauté scientifique à leurs travaux et entérine donc peu ou prou la valeur de ceux-ci avant leur publication. Il n'y a guère de solution pour régler facilement le problème, peut-être de promouvoir la validation « a posteriori », après publication, des données publiées. Celle-ci est encore peu acceptée, même si elle est à la base de notre discipline. Il faudrait réellement commencer une réflexion critique à ce propos, pour sortir d'un dialogue plombé.

L'édition électronique ne remplace pas le papier mais le complète, démultiplie ses potentialités de publicité et donc de public. L'évangélisation de l'électronique est achevée, commence la phase de réévangélisation, d'approfondissement, d'appréhension plus efficace.

 

La manipulation des commentaires sur le web politique

Un des champs de bataille essentiels de la campagne présidentielle se situe sur le web, sur les forums, sur les sites des grands journaux, sur les blogs politiques ou approchants. On sait que ces derniers se retrouvent dans des réunions de « blogage en direct », que les journaux ouvrent leurs articles et comptes rendus de débats aux commentateurs.

Je m'étonnais donc de la quantité des commentaires et de leur qualité relative, de la répétition des arguments qui s'amoncellent comme un tapis de bombe lancé par une escadrille de B52 américains sur la toile, du côté caricatural d'autres, quel que soit le candidat contre lequel ils s'acharnent -et ce côté caricatural est souvent rehaussé par une orthographe tellement piètre qu'elle ôte toute crédibilité à son auteur.

Mais je commettais, en lisant ces commentaires de manière brute, un grave péché de critique historique: il faut soumettre tous ces commentaires au principe de critique historique que l'on appelle la critique d'attribution: à qui attribuer un texte réellement, qui en est l'auteur, dans quel contexte et pourquoi? Or, le principe premier du commentaire de blog ou d'article sur le web est son anonymat relatif, son caractère d' « un parmi d'autres » qui lui donne sa légitimité comme expression d'un individu composant une société de citoyens – une société vue donc comme un ensemble d'unités formant un tout. A première vue, perdue dans le brouillard technique de cet anonymat, la critique d'attribution ne paraît donc guère applicable ici, sauf si on prend le problème par d'autres biais, comme l'a fait André Gunthert.

Il s'est installé dans les locaux du 282 bd Saint-Germain, pour observer la « cellule de veille internet du parti socialiste » à l'oeuvre durant le grand débat du 2 mai entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Cette « netscouade » y est décrite au travail, agissant et réagissant à chaque passage du débat, lançant commentaire et contre commentaire, démolissant les arguments présentés par le candidat UMP dans les forums politiques ou les commentaires des blogs ou des journaux. Chaque parti a évidemment sa propre netscouade et il serait naïf de croire que l'UMP, de son côté, n'organise pas l'action-réaction sur internet de la même façon: le contraire s'impose même comme une évidence pour qui suit l'actualité politique sur l'internet, même si cette netscouade UMP n'ouvre pas ses portes.

Il semble clair que l'efficacité de ces équipes tient à leur rapidité de réaction, à leur pertinence (soit par des réflexions qui démolissent les propositions de l'adversaires ou encore des jugements de valeur sans pitié sur l'apparence, le discours, les regards de l'autre candidat…) ainsi qu'à leur nombre, leur capacité de faire masse et de l'emporter par l'ampleur.

Tous les commentaires ou toutes les réactions sont-ils à analyser comme tels? Combien de commentaires sont à assimiler à ces réactions de netscouades? Jusqu'où aller? Quel est la part prise par ces armées de l'ombre du web dans la masse de commentaires politiques ? Faut-il considérer les commentaires haineux et écrits avec une orthographe déplorable comme des documents provenants de vrais militants indépendants ou bien de créations de ces bataillons du net qui les écriraient apparemment contre leur propre camp, mais en fait pour discréditer l'électorat et les candidats adverses : ces commentaires au ton si outré et à l'écriture si déplorable pourraient paraître tellement ridicules qu'ils décrédibiliseraient leur auteur putatif et par là-même l'électorat de l'opposition: personne ne voudrait faire partie d'un tel électorat…

Pour analyser de manière critique l'attribution de ces commentaires, pour juger le poids de l'action de ces corps francs du web, on ne peut travailler qu'en étudiant à la fois pour l'interne et pour l'externe les commentaires politiques, en échantillonnage ou pour le tout: en interne, leur vocabulaire, leur construction, leur potentielle répétitivité, la qualification de leur orthographe, la recherche d'un « formulaire » en quelque sorte ; en externe, la comparaison des adresses IP pour voir si les commentaires émanent de mêmes auteurs ou non…

Pour finir, un jugement de valeur et une question: d'abord, mon admiration devant le travail d'André Gunthert et, au-delà de celui-ci, la qualité de la présence sur le web de l'EHESS ; ensuite, à propos de l'ouverture toute démocratique du QG de campagne socialiste: il fallait oser ouvrir les portes de cette netscouade… Qu'en est-il du parti adverse?

 

Les présidentielles vues par une historienne US de l'immigration

Un peu de politique avec un intéressant articulet du blog-portail américain History News Network, qui pose une belle question: a-t-on tenté, au cours de la campagne, une réflexion historique sur les maladies de la République (et notamment de l'immigration vue comme fléau) pour mieux les cerner ? puis y répond par la négative. A lire pour changer des épuisants discours-du-café-du-commerce qu'on trouve dans la plupart des blogs et des medias en général depuis plusieurs jours, et depuis hier en particulier.