Agrégation et Capes Histoire: LE Manuel

Voir sorti des presses un livre auquel on a contribué est un petit enchantement, à chaque fois.  Regarder son texte imprimé, se dire qu'on va être lu, qu'on a encore ajouté une petite pierre, une goutte dans l'océan, et qu'en définitive on a fait son travail.

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Le plaisir est doublé ici, voire triplé: ici, c'est le manuel pour les candidats à l'Agrégation ou au Capes en Histoire, pour la nouvelle question sur « Pouvoirs, Eglise et société dans les royaumes de France, de Bourgogne et de Germanie, aux Xe et XIe siècles (888-vers 1110) ». Un manuel pensé depuis pratiquement un an, préparé avec soin depuis six mois, pour donner toutes les clés possibles aux candidats aux concours. Grande fierté pour nous tous: chacun a contribué dans le cadre de sa spécialité ou sur base de ses aptitudes particulières (la connaissance de l'allemand scientifique de manière approfondie pour certains d'entre nous). Tous « jeunes » maîtres de conférence (ou chercheur dans mon cas), nous avons travaillé avec le feu sacré… Et non pour l'argent, parce que nos droits d'auteur, eh bien, c'est un peu désespérant… « travaillez plus pour gagner plus » qu'ils disaient… hem…

Mais ce n'est pas qu'un manuel, une synthèse neuve et dense, un outil pour étudiants et un vade-mecum pour jeunes chercheurs. Voilà l'oeuvre d'une bande d'amis, qui se sont retrouvés naturellement. Certains groupes d'amis partent en vacances ensemble, d'autres encore font des soirées régulières -nous on fait tout ça, et en plus on a fait un manuel. LE manuel1.

Notes

1Et la photo de couverture! Parlons-en. Une photo prise lors de vacances par la meilleure d'entre nous! Si je vous disais que les éditions Ellipse ont préféré cette photo à une photo de sceau ottonien prise avec grand soin et le meilleur matériel, retouchée par mon labo, dans un dépôt d'archives par mes soins… Eh ben cette photo de vacances, ils l'ont préférée -probablement parce qu'elle était plus belle, peut-être aussi, inconsciemment, parce que le côté désinvolte, la liberté et la fraîcheur qui lui font comme un halo correspondent mieux à l'esprit du livre.

Florence II

Il arrive que je sorte d'un colloque relativement content -le plus souvent, c'est mélancolique, bluesy parce que je dois quitter des amis et que c'était bien, avec eux.

Ici aussi, je quitte des gens avec lesquels j'ai noué des rapports d'amitié ou de respect. Mais quelque chose surpasse tout cela: le sentiment d'avoir participé à quelque chose d'important -je le disais déjà dans la dernière note, nous étions tous là pour construire une nouvelle recherche européenne sur l'écrit, le manuscrit littéraire. Finalement, le défi est réussi, du moins dans sa première étape: celle de forcer le passage, de creuser la brêche, comme une tête de pont dans le grand immobilisme des injustement nommées sciences molles. Une volée d'institutions présentes ont dit qu'elles y allaient ensemble, vers l'institution européenne, vers la réunion utile, l'union sacrée. Objectif: être plus efficaces, plus visibles, former et se former pour développer une édition électronique aux passerelles réelles, avec des dossiers et des données interopérables, résolument open access. Unifier les passerelles et modules d'accès pour nos bases bibliographiques, nos plate-formes d'édition électronique. On a lancé des gros mots comme TEI ou CCH et les collègues ont écouté, chauds comme la braise!

Evidemment, il faudra aller plus loin, proposer l'union sacrée à tous ceux qui veulent, convaincre ceux qui n'étaient pas là, concrétiser l'essai. On se donne moins d'un an pour le faire. J'aime bien ce genre de défi. Qui a parlé de sciences molles?

Florence en direct

En direct de l'unique accès web de l'hôtel B.., via Guelfa.

Passage éclair à Florence. Train de nuit, supplice à partir de Bercy, gare sinistre, qui ressemble à un hall d'école. Là, au départ, horreur devant mon compartiment, puant comme il se doit: trois personnes et un amas de bagages. Deux vieux italiens charmants qui avaient tenté le train de nuit, avec l'espoir fou que ça serait plus facile et moins cher. Evidemment ça ne l'est pas. Heureusement, c'est l'Italie à Paris: un peu de marchandage avec le chef de wagon, un petit bakchich et les voila dans un joli compartiment à deux tous seuls! Et je me retrouve avec une jeune avocate américaine qui cause, qui cause, qui cause, sauvagement pro-Obama.

Arrivée au petit matin, ciel bleu, odeurs florentines, senteurs de cuccina et de pasticceria, la bonne humeur revient, un petit espresso, une mauvaise pizza qui devait être quattro formagi mais m'a semblé fourrée au vache-qui-rit, du pinard à trouer la table: Florence est une ville à touristes avant tout. Bah, l'esprit un peu embrumé fait voir la vie plus légère.

Puis la montée aux cieux, je veux dire la Certosa di Galluzo, centre italien pour spécialistes des textes médiévaux, coincé au dernier rang des sièges supplémentaires d'un petit taxi monospace, les genoux collés sur le siège de devant, à la manière de Rascar Capac. La Chartreuse de Galluzo, le saint des saints des textes latins médiévaux italiens. Là une volée de patrons d'instituts de recherche sur le texte ancien/médiéval (ou de responsables commissionnés -j'en étais donc-) se sont retrouvés pour faire l'Europe des textes médiévaux, autour d'un responsable de l'ESF.

Premier jour: il faut convaincre et surtout se convaincre: en veut-on, de l'Europe des textes médiévaux? Et tous d'une seule voix, certains plus couinants que d'autres: oui, nous le voulons. Ca n'a l'air de rien, mais la ferveur, la frénésie avec laquelle tous le demandent montrent que la prise de conscience est réelle. On se rend compte que « es muss sein », qu'on a l'air cons de continuer à oeuvrer chacun dans notre coin, qu'on peut être mille fois plus efficace ensemble que tout seul… peut-être se dit-on aussi qu'on disparaîtra si on poursuit le cavalier seul… "C'est la première fois que des instituts de recherche sur le texte discutent ensemble"… La griserie du Chianti de qualité n'est pas seule en cause: je sens que les choses avancent. Let's roll, comme disait l'autre..    Fin de la journée, suite demain, si j'y arrive!

Pour des digital humanities davantage embedded

Tandis que, depuis deux jours déjà, l'orage faisait trembler les vitres de l'amphi lyonnais de cette université d'été du CNRS où les grands acteurs français de l'édition électronique en sciences de l'homme et de la société tentaient d'établir des lignes directrices d'une politique, je m'étonnais… Le fossé (le "gap" comme ils disent, car on aime frangliciser, entre spécialistes du r&d digital humanities) entre les techniciens de l'édition électronique et les chercheurs se creuse.  On n'a pas assez parlé d'enquête de besoins, on n'a pas cherché vraiment à connaître les aspirations des communautés scientifiques d'historiens, de linguistes, de sociologues, d'anthropologues… D'un côté, on produit des supermoteurs, des portails ou métaportails, des systèmes de taggage sophistiqués -en tout remarquables- ; de l'autre on répugne à publier des actes de colloque sur le web, on considère les blogs comme d'aimables amusements et on estime que la publication d'une base de données sur le web a moins de valeur scientifique qu'un article dans une revue moyenne… Un étrange fossé. Il y a bien un mouvement initié, un appel d'air induit par la dynamique électronique, quelque chose qui tire les communautés de chercheurs… mais le rapprochement entre les équipes de chercheurs et ceux qui sont prêts à publier leurs tra vaux et leurs sources de manière électronique est tout sauf une réalité. Or c'est au prix de ce rapprochement que les SHS sortiront de la préhistoire du web et que les humanités digitales trouveront un vrai terrain de développement en France. Il faut installer de l'édition électronique au coeur des équipes scientifiques, il faut des digital humanities qui soient réellement embedded.