Florence sera toujours Florence

Toujours dans les tentatives de renouveau de style, je tente la « note en différé »: l'essentiel de cette note a été rédigé il y a un peu plus d'une semaine, l'ordinateur sur les genoux, dans ma chambre d'hôtel ou en plein milieu d'une communication un peu moins passionnante…Mais pas moyen de capter du wifi et pas le temps d'aller squatter un cybercafé florentin et de tout publier…

Florentin car… me revoilà à Florence pour un nouveau colloque sur les nouvelles technologies, un de plus, pour concrétiser l'essai de l'an passé… Mais comment? Pour l'instant, les collègues écrasés par la chaleur répètent tous inlassablement le couplet que je chantonnais dans le vide il y a quelques années, avec pour seul choeur mes petits potes de l'édition électronique naissante alors en France. Maintenant, tout le monde est convaincu et, voyons, mais bien sur, c'est devenu une évidence: XML, TEI, collaboratif: voilà les vrais mots de la vraie communion scientifique! Mais pour l'instant, ce sont des mots. Va-t-on vraiment créer un réseau, au-delà des déclarations d'intention et des proclamations de foi? Va-t-on mettre en commun nos savoirs, des compétences, des corpus, des moteurs de recherche? Un vrai suspense pour intellos. On va bien s'amuser… demain peut-être ?

Quant à moi, je ne sais pas ce que je vais raconter demain matin1. Comme souvent, je n'ai rien rédigé, j'ai juste rassemblé des idées, des photocopies, des tirages d'articles, des réflexions depuis quelques semaines… J'ai tout amené dans mon gros sac à dos, avec mon portable, et j'attends la révélation. J'ai donc bien quelques idées, mais j'ai peur de rester un peu général. Je devrais parler très concrètement des bonnes pratiques de travail pour concrétiser le web 3.0 et préparer au 4.0. Se retrouver à quelques-uns et établir des passerelles, se former à RDF ou FOAF comme espaces de constitutions d'ontologies, développer les métadonnées, mettre en commun des compétences en bases de données PHP ou XML (voilà, c'est fait, quelques sigles et le tour est joué…).  Les angoisses de la mise en commun doivent être dépassées… non pas en se disant qu'on continuera tous comme avant en jetant simplement des des passerelles entre nos corpus… mais en prévoyant dès le départ un accroissement quantitatif et qualitatif de nos métadonnées et surtout en considérant nos documents différemment. Documents: en économie virtuelle, cela ne veut plus rien dire. Got et tous les spécialistes de la communication électronique le savent bien et le martèlent: le document n'existe pas, en mode virtuel. Tout comme la référence bibliographique. On est seulement face aux données, réécrites en bits ou mutant en métadonnées.  Faux problème donc… Reviendra aussi la question des labels, de la validation: je reste convaincu par l'auto-correction et l'auto-validation du système, la prise en main des données par les utilisateurs lecteurs leur donnant validation.

Mais Florence… Florence sera toujours Florence, le lieu de la futilité touristique, la chaleur desséchant les pavés arrondis et plats de la vieille ville, sous les ors défaits de la vieille cité communale, dans les ruelles borgnes ou clinquantes. Florence n'est pas le lieu de la science, mais c'est fou le nombre de colloques que j'y ai déjà faits! Au moins cinq ou six, plus que partout ailleurs! Mais pas question de sortir: ce soir, rédaction de ma comm, après le repas au resto du colloque. Et demain ce sera pareil, repas au resto organisé par le colloque. C'est le plus triste: être enchaîné au colloque, ne pas pouvoir se libérer, s'organiser des visites princières dans les palais, humer les senteurs d'encens et d'humidité séculaire des vieilles églises, se laisser emmener dans les ruelles sombres et bosselées, chasser la bistecca alla fiorentina. Mais non, ce sera pour le colloque suivant à Florence…

Notes

1Oui, demain matin il y a une semaine et demie…

Fluctuat nec mergitur et on s'en fout

Toujours l'envie d'écrire ici. Je ne sais pas si j'ai gardé le même style qu' « avant », au temps du glorieux Blitztoire (qui s'en souvient)… mais je suis toujours animé par la petite flamme d'alors. J'ai tout perdu avec l'écroulement des blogs et en particulier du mien -et j'ai surtout perdu mes lecteurs habituels, et tous les collègues qui venaient ici, rabattus par les « on-dit », ont déserté ces pages. En définitive, j'en suis heureux. C'est le moment de repartir à zéro. Si j'avais vraiment un peu de temps, je reconstruirais ce blog de a à z, je lui donnerais un nouveau nom. Mais Grégoire de Tours l'a déjà dit avant moi: on reconstruit bien mieux sur des ruines impies.

Je ne sais pas ce qui a tué le premier Médiévizmes, il faudra un colloque ou deux, une commission d'enquête parlementaire belge et une analyse chez un disciple de Lacan pour en savoir davantage. Principalement, c'est ce que j'appellerais l'auto-référencement. Médiévizmes est devenu la caricature de lui-même. Mes phrases n'étaient plus de moi mais de la communauté scientifique, trop pesées, trop soupesées, de plus en plus empesées. Il me semblait que je devais faire plus de Médiévizmes « professionnel », spécialisé, du « prêt à consommer », du « politiquement correct »  pour mes collègues lecteurs. Je ne voyais plus qu'eux, je n'entendais plus que leurs commentaires -toujours oraux, jamais écrits. Les détracteurs de mon anonymat avaient tort: un bon blogueur est un blogueur qui se sent libre, et on ne se sent pas libre quand on pressent au-dessus de sa tête des dizaines de regards de collègues parfois un tantinet goguenards.

Médiévizmes, victime d'être le seul blog de médiéviste francophone? On n'en est pas loin. Ayant (involontairement… et définitivement?) chassé mon lectorat de « professionnels », je me dis que que je peux repartir, le coeur plus léger. Je ne sais pas si je retrouverai cette lame acérée que je serrais entre mes dents, il y a un peu moins de cinq ans, mais j'en trouverai bien une autre.

Une insupportable légèreté

Trois mars 2009, il est presque seize heures, arc-bouté sur des dossiers et des dossiers, comme toujours, je jette un oeil nonchalant sur un message qui vient d'arriver dans ma boîte à courriels, venant de la liste de diffusion/discussion allemande Mediaevistik. « Kölner Stadtarchiv eingestürzt ». Le dépôt d'archives de la ville de Cologne, un des plus importants en Allemagne -déjà si éprouvée par les bombardements de la seconde guerre, de ce point de vue-, vient de s'écrouler sur lui-même, en trois minutes, comme dans un mauvais film catastrophe. Le temps pour le personnel de salle de faire évacuer tout le monde, lecteurs comme archivistes. Trois minutes plus tard, c'est trente kilomètres linéaires d'archives qui sont sous les gravats. 64 000 documents, donc une bonne partie de médiévaux, écrasés sous le béton.

Depuis trois mois, des volontaires se relaient pour extraire des décombres les restes martyrisés du passé de Cologne. L'ampleur des pertes m'indiffère un peu: la perte d'un seul document est pour moi insupportable. Mais le plus insupportable, c'est l'indifférence de bon nombre de mes collègues -et mêmes des archivistes: beaucoup ne savent même pas ce qui s'est passé et, de toute façon, s'en fichent. Comment voulez-vous, dans ce cas, que je prenne au sérieux ces mêmes chercheurs qui tentent de m'expliquer avec sévérité et assurance que ces chartes, ces cartulaires du Moyen Âge sont porteurs de symbolique, sont des objets empreints de sacré, et dans tous les cas sont d'une importance toute particulière pour les médiévaux..