Petits départs et grandes promesses

Passez de belles vacances… Je m'éclipse en vacances pour quelques jours. Je sais, malgré toutes mes promesses, je suis resté silencieux depuis plusieurs semaines, repris par la fièvre de l'habilitation. Je ne pars pas seul cependant: mon fidèle ordinateur me suit, ma double mémoire, puis « Soixante-dix s'efface » d'Ernst Jünger (encore lui), et enfin quelques idées de notes: de la Japan expo à la reconstitution de la seconde guerre mondiale à Haut-le-Wastia en passant par la découverte d'une valise pleine de papiers vieux de cinquante ans, en plein Paris. Je vous coule tout cela en texte pendant mon exil doré.

Chronique de la deuxième journée d'un colloque florentin

Voilà, je suis assis à la table des orateurs, il est dix heures du matin environ, je souffle d'aise en tapotant sur mon clavier de portable, à l'écran tournant le dos au public. Devant un aréopage choisi, j'ai fini ma comm… J'étais le premier de la journée, autour de mon power point bouclé dans le bus qui nous a amené à la Certosa di Galluzo. Un peu fatigué quand même: j'ai "conçu" ma communication cette nuit entre 23h et 2h du matin. Perplexe… je me demande si ce que j'ai dit valait le coup. Je suis perplexe. Je serai heureux d'arriver à la pause pour interroger mes  sévères amis. Je suppose que je saurai alors.

Pour l'heure, 10h23, je suis toujours à la table des orateurs, avec l'autre conférencier (conférencière en fait) lisant consciencieusement ses feuilles bien imprimées dans l'air lourd d'une matinée florentine qui s'annonce chaude. Le président a l'air prostré,, les auditeurs aussi. Certains regardent dépités, les yeux mi-clos. D'aucuns tapotent les bras de leur siège, les yeux perdus dans la campagne toscane qui s'étend au-delà de la fenêtre ouverte. Il parait que derrière moi, il y a la maison de Boccace, qui se serait réfugié là-bas, pendant la grande peste. L'oratrice me cite pour me lancer de petites piques, mais c'est de bonne guerre: j'ai parlé avant, j'ai donc dit des choses qu'elle pensait pouvoir dire. Joies du colloque! Fin de sa comm… Pas encore de pause: le président se lance dans un grand discours sentencieux pour motiver les questions… Une grande dame maigre et diserte se lance dans une question-réflexion en italien sur les modes d'interrogation dans les bibliothèques. C'est une bibliothécaire. Les Français tentent d'écouter, de comprendre puis abandonnent. Autre question-réflexion: « on » me cite, je suis fier comme Artaban, et puis voilà L qui se dit et nous dit que mes propos sur la validation (la validation des éditions électroniques par les lecteurs-utilisateurs, j'aime bien) c'est ounn peu essajéré… Discussion!

Mais je suis content quand même. 12h03… les échos de la pause sont positifs. Pas de café à la pause, mais des gens aimables qui ont bien aimé ce que j'ai dit. Et puis ça a repris. D'abord un italien sévère… puis un allemand scandinaviste qui explique le projet de sa vie et dit qu'il l'a raté, que c'est fini: désespérant… On l'écoute religieusement. C'est hors-sujet, mais ça ne fait pas de mal, une respiration dans ce monde de brutes digitales. Le voilà qui termine bien son petit laïus, en revenant à nos bons étudiants dont il faut s'occuper, les pauvres: on doit les associer à nos études et nos projets en digital humanities.  Bien joué, bien amené. Il a terminé bien plus positivement qu'il n'a commencé!

Discussion intéressante, avec les traditionnels chercheurs d'une autre génération qui ne percutent toujours pas qu'on doit dépasser la base en dbase3, obsédés par la validation sévère des autorités qui doivent tout contrôler, tentant d'arrêter ce qu'ils pensent être une course à la folie de jeunes anarchistes!

Puis c'est un ex-spécialiste de l'ESF qui prêche: sermon pour convaincre les foules: réunissez-vous, croissez et multipliez.  "Ne parlons pas d'argent"! émouvant! « That is a long road! What you need is good stories to tell! » Faut parler aux bibliothécaires, aux archivistes, dit-il!  « That is exciting stuff! discover something new! »  On va voir s'il remue ses ouailles comme lors de la dernière campagne de prédication en septembre. Raconter des histoires, c'est ça le plus important! Il le fait bien. Mais, in fine, un souffle de désespoir parcourt l'auditoire: rien, pas de gros sous avant dix ans, annonce-t-il sans pitié!  Désespoir des autorités qui imaginaient la manne céleste de l'Europe se déverser sur nos têtes dès après-demain.

Déjeuner en pleine chaleur dans la loggia à côté de la salle de conférences. Charmant buffet italien: prosciutto, salame, petites salades de riz et haricots, melanzane et pepperone, petites bouchées fourrées… Copinages, amitiés, promenades dans le patio de la chartreuse. J'apprends que même en « haut lieu », on a bien aimé mon intervention.

Petits bonheurs, petites fraîcheurs, vent coulis caressant les auditeurs revenus dans la petite salle pour une lourde fin d'après-midi. Engourdis, assoupis, les auditeurs s'écroulent lentement. Pourtant Lino dit des choses pas mal, assez onirique, large, rêveur. Il parle un français charmant, chantant comme savent si bien le faire les Italiens. Voilà qu'un espagnol reprend la tenue du crachoir. Motor de busqueda signifie moteur de recherche en espagnol ; le réseau c'est la red.  Le plus terrible c'est lutter contre l'assoupissement. Pas parce qu'on ne s'amuse pas, mais c'est si dur, les premières heures après le repas…

17h, après la pause d'après-midi, ça va mieux. Vient le temps des communications qu'on n'écoute pas assez, pas comme il faut (sauf celles en français, naturellement), la fatigue aidant. Le patron du colloque vient de se rasseoir à côté de moi. J'ai du baisser la taille de la police du texte de ma note de blog pour ne pas éveiller ses soupçons. Il va falloir se concentrer. Et pourtant… le rêve serait d'aller se balader dans Florence, de prendre l'air et les odeurs…ou même en face, se promener dans les campagnes toscanes, se perdre dans les montagnes pelées, celles-là même qu'on devine au travers des fenêtres. Mais non… Une autre fois ou plus tard…