C’est le temps de la neige et des notes de blog aux relents poético-guimauvesques. J’ai donc décidé de vous parler, suivant mon mauvais esprit, d’un sujet bien badass, et même un peu gros beauf, mais on ne se refait pas. Pourquoi et comment je « fais mon métier ».
En fait, le « pourquoi » et le « comment » sont complètement liés. Il n’y a pas lieu de dissocier les choses. C’est ce que d’aucuns appelleront la passion: pourquoi pas, c’est un joli mot, il est associé à la joie, à la grandeur, à l’honnêteté, mais aussi à la violence, à l’excès, à la souffrance. Rien sans passion. Mais « passion » reste insuffisant pour décrire les pulsions qui me poussent. Ce n’est pas assez fort. Le seul mot que j’ai trouvé et que d’aucuns utilisent par ailleurs est anglais : the edge. The edge, comme le bord de la falaise ou mieux : le fil du rasoir -c’est plus fort que le fil de l’équilibriste : le fil du rasoir, on peut se mutiler rien qu’en restant dessus… The Edge, comme l’écrivait Hunter S.Thompson et comme, à sa suite, en parle joliment cette petite vidéo de Piotr Kabat, que vous devez absolument regarder.
Encore les motos, me direz-vous ? C’est que je suis de plus en plus intimement persuadé que je n’ai pas (re)découvert iron horse depuis quelques années pour rien -et pas seulement à cause de ma crise de quarantenaire. J’ai toujours cherché « the Edge », bien avant de commencer à faire de l’histoire. The Edge dès mon adolescence et un peu après en flanquant au fossé un joli nombre de voitures. The Edge en allant au bout de mes capacités physiques. The Edge en m’opposant à mes parents, à mes amis aussi bien pour des histoires de boulot, d’orientation professionnelle que pour des histoires de vie, disons, privée. The Edge en passant du haut Moyen Âge littéraire au bas Moyen Âge diplomatique, en osant la thèse, puis en abandonnant une nomination aux archives pour rejoindre le CNRS 450 kilomètres plus loin, sans savoir ce qu’il en ressortirait. The Edge en enjambant et réenjambant les frontières sans vergogne. « The Edge », « sentiment ou sensation mystique » comme dit Daniel Silverman de Hell for Leather : pour dire les choses plus complètement, je dirais qu’il s’agit d’une quête incessante, obsessionnelle, d’une recherche avide de ce sentiment intellectuel, sentimental, de cette sensation quasi physique aussi, que l’on éprouve quand on pousse au plus loin les arguments, la recherche, l’esprit jusqu’à être aux limites, être sur les limites acérées de l’illicite, l’impensable, l’impossible. C’est ce que l’on ressent quand on pousse un peu trop loin les frontières de l’impensé parce qu’impensable. Quand on tourne un peu plus la poignée, qu’on incline un peu plus le cheval de fer, qu’on sent la roue arrière partir dans une petite glissade, une « virgule », comme on dit dans le jargon. Sans tomber. En tout cas, en essayant de ne pas tomber. Pas trop. Repousser les limites. The Edge. J’adore ça.