Apocalypse documentaire

Apocalypse a repassé les plats. Les critiques , qui furent fortes et bien entendues il y a quelques années, sont de plus en plus faibles.

Seules quelques voix discordantes se font entendre, ici ou .  Il faut les écouter. A ces voces clamantes in deserto, je voudrais me joindre. Car Apocalypse est une de ces très perverses créations télévisuelles à vocation culturelle, de ces dernières années.

Certes, elles font de l'audience -probablement davantage grâce à une communication très efficace, mais aussi parce que l'usage s'est répandu de se plonger sur les séries quand elles arrivent à revenir de saison en saison. Et ici, Apocalypse se présente comme une mini-série, la enième saison…

Pour le reste, on nous sert un machin convenu, avec toujours les mêmes images et surtout des  textes historiographiquement datés, voire partisans, anachroniques… Mais je préfère, moi aussi, me pencher sur la fameuse « valeur ajoutée » : l'image colorisée. Je ne parlerai même pas du son plaqué encore plus brutalement que d’habitude…

Les images colorisées. Elles ne sont pas seulement problématiques parce qu'on n'y croit pas, parce qu’elles font faux1. On peut pousser le raisonnement encore plus loin. Le documentaire, ces dernières années, se cherche une nouvelle identité. Il se veut docu-fiction, tente de rejouer la réalité, de s’incruster encore davantage dans la rétine et dans l’estomac de son public. Il veut parler à ce public, ou plutôt hurler, minauder, frapper le spectateur. Stimuler. Jouer la carte de l’émotion. Répondre aux besoins de voyeurisme, flatter le goût pour la morbidité, la recherche des excitations les plus diverses. Pour ce faire, deux solutions, si vous faites « de l’historique » : ou recréer la scène avec des acteurs… ou bien transformer plus ou moins les images d’époque. Et là, ce ne sont plus les images de l’époque. Elles sont certes fausses, comme ces animations des jeux vidéos ou ces séries télé semi-gore que l’on regarde sereinement du fond de son canapé, car on sait, au fond de soi, que « c’est du faux ». Mais elles ne sont pas seulement fausses : elles ont acquis un statut fictionnel. Il ne s'agit pas de mieux comprendre 14-18 mais que 14-18 nous émeuve davantage. C’est la mini-série du moment. Vous pouvez la regarder avec votre paquet de chips sur les genoux. Et tous les pauvres cadavres barbouillés de sang, avec leurs pantalons rouges, leurs vestes verts-de-gris, leurs casques bleu horizon ? Ce ne sont plus que des personnages de fiction. Ils étaient vos arrières-grands-parents ; ils sont devenus des formes animées sur celluloïd. Des acteurs de docu-fiction.  Bien mal payés, d’ailleurs.

Notes

1Je suis ici totalement la superbe analyse d’Adrien Renouvet qui en vient à montrer que les images ainsi faussées induisent un sentiment de distance encore plus grand par rapport à la réalité et donc, pour les chercheurs, démystifient l’image animée, lui retirent son statut de « comme la réalité ». La colorisation aide donc à la déconstruction postmoderne de la source.

La kabbale des médiévistes

Il n'est pas facile d'être historien et encore moins médiéviste. Le Moyen Âge est cette terre aride, sèche, que nous peinons à labourer parce que chaque fois que le soc y pénètre, le sol devient poussière et caillasse. Il faut cracher dans la terre pour en faire de la boue, jusqu'à ce que ce soit notre bouche qui s'assèche. Un travail de forçat, de bagnard: celui du médiéviste. Les sources sont sombres, illisibles, diaphanes ou fouillis, elles ne parlent pas quand on les regarde. Ce ne sont pas les midinettes que contemplent les contemporanéistes, ces sources qui gazouillent et pépient au premier coup de cil. Et une fois que nous aurons craché toute l'eau de notre corps, tout reste à faire.

Le contemporanéiste, lui, amasse les gazouillis, les cris et les mots, à la façon d'un fleuriste ou d'un fermier qui lie les gerbes récoltées à pleins bras ou les fleurs tige après tige.  Le médiéviste a les deux genoux plantés dans le sol caillouteux, les deux mains dans la terre boueuse: il façonne de petits golems. Il leur donne vie avec le reste de son souffle. Petits homuncules sans visage, petits êtres juste nommés, les golems des médiévistes vivent cependant. Couché par terre, souillé de poussière et de fatigue, le médiéviste regarde ses petits golems qui vacillent sur le sol parcheminé des ancêtres. Il leur parle avec lenteur et parfois, ils répondent, par saccades. Puis advient le miracle, quand, après les avoir contemplés des heures durant, il voit soudain un visage, des traits, des yeux. C'est le moment de les raconter. Tout reste à faire.