Entre le 16 mars 2020 et le 18 mai 2020, j’ai publié ici-même vingt-quatre épisodes d’un récit complexe que j’ai intitulé « chroniques de la petite peste ». Ecrit et publié comme un feuilleton, suivant le principe du blog, ce texte est forcément divers, déroutant, dérangeant, tordu, tortueux, à l’image de ces moments étranges que nous vivons depuis l’apparition de l’épidémie dite du Covid-19. C’est un récit de confinement, construit sur le mode du journal, mais ce n’est pas un journal stricto sensu. J’avais envie, depuis longtemps, de me lancer dans une création littéraire, entre fiction et réalité, entre ego-histoire et alter-histoire, entre je, tu et il, entre moi et mon moi de papier.
Trop souvent, les ego-histoires se prennent au sérieux, mettant un point d’honneur à ériger un parcours en « bullet-point journal » énumérant des leçons de vie. Je me suis demandé si ces récits de vie d’historienne et d’historien ne seraient pas plus crédibles s’ils étaient vraiment plombés comme les sources du passé, lestés avec des zones d’ombre, des aménagements avec la réalité, des clins d’oeil, des allusions, des jeux de piste. Je me suis demandé si ce superbe sursaut d’orgueil qu’est l’ego-histoire ne serait pas plus crédible et plus lisible si elle se jouait comme un film ou une pièce de théâtre en vingt-quatre actes. Je me suis demandé si l’autobiographie historienne ne trouverait pas dans la fiction assumée une façon de se sauver elle-même, pour éviter les tentations christiques au désert, lorsque le diable propose à Jésus de se jeter dans le vide sans peur puisqu’un ange viendra le cueillir avant qu’il s’écrase au sol. L’ego-histoire, genre universitaire français, relève de ce schéma et nous laisse succomber à la tentation puisque nous nous jetons dans le vide avec un texte censé tissé de vrai en guise de parachute, tandis que nos collègues angéliques nous rattrapent et nous adoubent dans le même temps.
Cette « authenticité »-là m’importe peu, en fait. Ma vie est déjà complètement réécrite depuis plus de cinquante ans, tout comme la vôtre. J’ai préféré aller jusqu’au bout du jeu. Vous n’y distinguerez qu’à grand-peine le vrai du faux. Il y a cependant moyen d’y lire bien davantage que ce que j’écris. La vie est un jeu et la vie est un songe.
J’ai rassemblé tous ces textes ici. J’en ai fait un petit livre. Je l’ai mis en page, j’ai tout replacé dans l’ordre chronologique, du 16 mars au 18 mai, ou plutôt du 20 février au 15 ou 16 ou 17 ou 18 mai, allez savoir.
J’espère que vous m’en direz des nouvelles.