Mdivizmes entre en scne

Une nouvelle vie commence. Ou du moins un nouveau blog. Un tome 2, en quelque sorte. 20six m’a apport bien des joies; je reste fier et content de ce premier carnet qu’a t Blitztoire. Mais il tait temps de changer. C’est chose faite. Dsormais, j’crirai sur Mdivizmes
A tous mes lecteurs, je propose de me suivre l-bas. Plus libre que jamais.
Je laisse les archives ici, ouvertes. Le tome 1 se ferme, le tome 2 est ouvert.
Mdivizmes donc.

Là où il y a de la chaîne, il y a du plaisir

Me voilà lié à la chaîne que me tend Manue du Figoblog. Et comme je ne peux rien lui refuser, je me plie aux règles du jeu. Les voici, fidèlement copiées et collées ici:
# 1. Allez dans vos archives
# 2. Retrouvez la 23e note ou celle proche de ce chiffre
# 3. Retrouvez la 5e phrase.
# 4. Affichez le texte de la phrase ainsi que les instructions
# 5. Demandez à 5 personnes d’en faire autant.
J’ai donc procédé comme demandé. La phrase qui correspond dans ma 23e note est


« Je suis persuadé que c’est une question essentielle qui vous taraude et vous ronge… »



Bon, peut-on faire une exégèse à deux sous ?  Mais bien sur!
Voilà une phrase que je ne peux écrire dans un article scientifique. Je m’adresse aux lecteurs, à ceux qui sont là, visibles dans les commentaires et dans les logs… Proximité inouïe. A sentir le souffle de certains, le soufre d’autres.
« Je suis persuadé »: quelle audace, quel orgueil, je m’exprime d’un trait et sans trembler mais c’est un sentiment qui sort, pas une démonstration! Quel culot, cet historien: je sors de mon rôle, de ma peau d’homme-critique.
« que c’est une question essentielle »: seules les questions essentielles devraient nous intéresser, mais c’est bien souvent le contraire. Et alors ? Quoi de plus naturel: j’ironise et j’assume.
« qui vous taraude et vous ronge »: c’est ma propension à faire ressentir et à ressentir moi même les choses dans la chair, dans le vif, dans la vie ; mon côté « marqueur au fer rouge ». Toujours cet orgueil.
Au fond, je suis tout entier dans cette phrase, torturé et torturant, non ? Non ?
Bon, qui va suivre le fil maintenant ? A qui tendre la chaîne ? Amusons-nous. Je propose:
Veuve Tarquine pour la saluer courtoisement,
Guybrush pour qu’il revienne,
Extirp parce qu’il a un bien beau blog,
Jean-Luc Deuffic de Pecia parce qu’il lui faut un peu de distraction,
et, last but not least, le webmestre du blog Menestrel pour la beauté du défi sportif.

Chou presque blanc

La table ronde « portails mdivistiques« , c’est fini. Il parat que la discussion sur les « portails » va continuer sur le blog de Mnestrel : nous verrons bien. Une suggestion l’attention des organisateurs: rdigez-nous une petite note faisant le compte rendu de la journe, vos conclusions personnelles et vos apprciations ngatives ou positives, vos suggestions iconoclastes. L’occasion de rellement dmarrer une discussion coups de commentaires enthousiastes, rageurs et presque anonymes!
Chou presque blanc, car personne ne m’a parl de choux de Bruxelles ; mme Got n’a pas pu placer les mots magiques dans sa communication (mais il est pardonn, il n’avait pas beaucoup de temps pour prcher efficacement la bonne parole la docte assemble). Bon, c’est pas tout fait vrai: une des collgues de Mnestrel m’a identifi et a l’a d’ailleurs beaucoup perturbe dans son expos. Je comprends, identifier Zid et parler devant lui, a fait quelque chose. 😉  Mais qu’elle se rassure, je suis un homme comme un autre, le blog ne m’a pas trop transform.
Cependant, je ne dvoilerai pas mon anonymat, je reste un mdiviste parmi d’autres, c’est bien comme a que je veux bloguer: anonyme perdu dans la foule, sorte d’hapax dans le monde feutr de la mdivistique, un homme sans tte et sans titre, cultivant le mystre comme d’autres un plant de cannabis sur un balcon du seizime. Ce sont mes mots et mes convictions qui comptent ici, pas mon curriculum vitae ni la cravate que je ne porte d’ailleurs jamais.

Choux de Bruxelles et facéties médiévistiques

Oui, je sais, c’est calme: pas de note… Ce n’est pas que je n’en rédige pas, mais je les réserve pour mon nouveau blog, le successeur de Blitztoire. Il n’est pas encore publié, j’attends que les plâtres sêchent pour que la fine équipe qui m’aide à changer de maison trouve le temps de poser les derniers enduits. Vous verrez, on a choisi du rouge pompéien, ça déchire grave. Le semaine prochaine, certainement.
Mais la vie continue malgré tout et j’assisterai probablement demain à la journée d’études « portails médiévistiques« .
Il y aura peut-être/sûrement des collègues qui connaissent ce blog. Mais je ne dévoilerai cependant pas mon anonymat! Sauf… à ceux qui, curieux et enjoués comme moi, m’aborderont en plaçant dans leur conversation les mots: « chou(x) de Bruxelles ». A ceux qui introduiront adroitement ces mots-codes dans leur conversation avec moi, je dévoilerai mon identité! On va voir si mes collègues ont de l’humour et de l’estomac, ou tout simplement s’ils ont un bon fil RSS ou s’ils me lisent! Le point sur le résultat de mes dernières facéties dimanche ou lundi!

In-A-Gadda-Da-Oswald

Décidément, il faudra bien un jour rédiger ce manuel de diplomatique du web, ou plutôt du document numérique, si tant est que ce dernier concept désuet de « document » ait une quelconque validité. Il ne pourra être rédigé sans une partie technique très fouillée, avec des spécialistes du web connaissant à fond « leur » période de pointe intellectuelle ou leur domaine propre (les précurseurs, les ouvriers du html, les experts en base de données… les webmestres des années ’90 et ceux des premières années du XXIe s.). Et malgré cela, la bonne vieille critique à l’ancienne perdurera.
Ainsi. Supposons que, dans cinq cents ans, après quelques catastrophes climatiques et autres désastres alimentaires, épidémiques ou économiques, on ne retrouve plus du XXe s. que des bribes de sources comme c’est déjà le cas pour le XIXe s. -puisqu’il est convenu que de l’énorme production de textes du XIXe s., nous n’avons conservé qu’une infîme partie. Supposons qu’un historien éminent retrouve, parmi les tirages d’imprimante plus ou moins effacés qui composent le fonds d’archives d’un geek quelconque du XXe s., cette photo, sur papier:

Avec pour seule légende: « In-A-Gadda-Da-Oswald ».

Et supposons maintenant que l’original ait disparu…

Quel pied de nez à l’Histoire!  La photo de l’exécution du présumé assassin de Kennedy, lui-même abattu par un certain Jack Ruby sous les photographes, travestie en une exhibition d’un chanteur yéyé, par les soins de George Mahlberg en 1996, avec Photoshop et en 40 minutes, paraît-il
Evidemment, ici, les ficelles sont trop grosses. Mais ailleurs ?
Au-delà de l’analyse technologique elle-même, qui trouvera immanquablement ses limites, seule la critique appliquée des historiens, la critique interne, pourra faire le départ entre le faux et le vrai. Ici, pour « In-A-Gadda-Da-Oswald« , le doute viendrait de l’inadéquation de l’âge et des costumes des musiciens par rapport au chanteur, mais aussi de l’anachronisme probable des synthés Roland dans un décor des années ’60, y compris le cop en uniforme.
Il n’y a décidément que la recherche de la vérité qui m’intéresse.

Ma passion

Ma passion de l’histoire. Il ne me reste guère qu’elle, ma passion d’historien, de médiéviste, alors j’en parle, souvent et avec encore plus de force. Passion d’un métier qui est plus qu’un métier, c’est une façon de vivre. C’est difficile à imaginer pour quelqu’un « de l’extérieur », qu’il soit possible d’être passionné par l’étude des vieilles archives médiévales. Difficile à imaginer et encore plus à vivre: pour l’instant, je ne connais personne qui ait jamais accepté ma passion sans me dire, d’un air sévère et l’index sentencieusement brandi: « n’oublie pas les choses essentielles ». Oui, oui, je sais, il y a mes proches, ceux que j’aime. Oui, oui, je sais, mes manuscrits sont couverts de morts, peut-être que ça ne semble pas essentiel, les vivants comptent davantage… et c’est vrai que si je disparais demain, les recherches en histoire du Moyen Âge continueront de tourner aussi bien… Je n’oublie pas les choses essentielles (plutôt les personnes essentielles!) mais il me reste cette empathie, cette communion avec mes vieilles traces d’hommes.
C’est tellement difficile à expliquer… lorsque je suis face à de vieux manuscrits, de vieux registres de comptes tout pouilleux, des chartes poussiéreuses… je m’isole du reste du monde, je rentre dans l’autre monde, le monde d’avant, « leur » monde. Il y a les odeurs de parchemin ou de vieux papier, il y a aussi le côté charnel, sensuel du parchemin ou du vieux papier: c’est de la peau, c’est du papier vivant, c’est doux et tendre. Puis les mots, tracés à coups de plume; derrière eux on voit des fantômes qui se lèvent, endormis depuis des siècles.  Ils viennent me saisir la main au travers de la feuille: je n’ai jamais su s’ils voulaient que je les tire de l’oubli en les faisant revivre ou s’ils voulaient simplement m’attirer dans leur monde définitivement, mais j’ai vraiment cette impression d’être saisi… comme le dit le vieil adage juridique médiéval, « le mort saisit le vif » . Puis après cela, après avoir pris plein de notes, je lâche leurs mains et je referme les vieux registres, ils rentrent dans la nuit du passé. Mais je ne les oublie pas: ma passion d’historien, c’est aussi de réunir ces notes, de les rapprocher, et puis là, la magie opère: des liens se font entre les fiches, des rapprochements entre les situations décrites… Voilà les mêmes hommes, les mêmes femmes à l’oeuvre… Voilà que leurs gestes et leurs actions, que j’avais brutalement notées, prennent sens, qu’elles trouvent une signification en les remettant dans leur contexte. C’est la famine ou la guerre: ils ont peur et écrivent leur testament. C’est la crise économique: ils se ruinent dans des emprunts épouvantables. Et là, je me sens encore plus proche d’eux. Assez proche pour raconter leur histoire, dire leur vie, avec mes mots à moi. Assez proche pour essayer d’expliquer leurs bonheurs et leurs malheurs. Je leur donne ma pauvre tête et mes mains et mes mots et j’essaye de bien les écrire: on n’écrit pas l’histoire des hommes comme on décrit ou, mieux, consigne la fusion d’un bloc de pierre ou la résolution d’une équation. Quand mon récit est fini, j’éprouve une petite fierté, je me dis que j’ai fait ce que je devais. Je n’ai jamais eu l’impression qu’Ils me remerciaient, et d’ailleurs je ne leur demande pas. J’ai fait ce qu’il fallait faire, ce que je ressentais devoir faire: c’est ma passion d’historien.
Cette passion-là fait souffrir aussi, au-delà des bonheurs qu’elle me procure. Parce qu’elle me rend seul parmi les vivants. Dans mon blog, j’essaye d’expliquer aux autres vivants cette passion-là, et certains la comprennent. Mais ailleurs, c’est très difficile. Seuls mes collègues me comprennent, nous sommes tous un peu fous de la même façon. Je n’ai eu aucune reconnaissance de bien des proches qui ne sont pas du métier, jusqu’ici: ceux-là confondent toujours « la carrière » (gagner de l’argent, monter en grade…) et « la passion », seule « la carrière » méritant reconnaissance à leurs yeux. Cette passion rend bien seul mais elle me colle à la peau, j’en suis prisonnier.

L’art pour lard

Comme tout homme culturé (ou du moins se voulant tel), j’ai moi aussi fait mes sorties « patrimoine ». Mais, pour changer, j’ai suivi un des acolytes de mon établissement de recherche préféré, dans des endroits « alternatifs » de ma chère ville ligérienne: le Fonds régional d’art contemporain (ou FRAC ) organisait des visites de cabinets d’architecte, dans lesquels pour l’occasion étaient exposés quelques maquettes et dessins de grands architectes, à vocation « artistique » souvent, et conservés par le dit Fonds.
L’expérience était en soi intéressante et j’ai beaucoup appris.
J’ai par ailleurs tenté une plongée en profondeur dans la faune « artistophile » et « artistique » du lieu. Hier soit, j’ai donc joué pique-assiette aux pot, buffets et soirée du FRAC. Je m’attendais à une ambiance débridée, à une nuit de folie, à une soirée « no limit » où on me ramasserait par terre le lendemain matin: point ne fût-ce le cas. L’ambiance ressemblait très fort à un de ces buffets « offert par la mairie » lors des colloques d’historiens: chacun y boit son petit verre de pinard local du bout des doigts, le doigt sur la nappe du buffet, à massacrer dans un bel élan des charcutailles, une assiette en plastique et sa propre voix pour dépasser le brouhaha d’une sono djeunz invitée pour faire djeunz.
Je me suis donc rendu compte que rien ne change, quel que soit le milieu: ce genre de pot, appelé communément dans les milieux chics (ou ploucs, excusez, je ne suis pas l’actualité langagière) « buffet dinatoire » est l’endroit où l’on invite les « autorités » (en clair: ceux qui donnent les sous pour qu’on puisse faire nos bêtises) et les « amis de l’art » (art de l’historien ou art stricto sensu, les « amis » donnent parfois des sous et surtout donnent une légitimation sociale, éventuellement un petit coup de piston quand il faut). Les uns et les autres sont souvent (mais pas toujours, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ;-)) relativement incompétents et/ou inintéressés par les « artistes », mais ils sont là pour se retrouver entre eux. De temps à autre, ils viennent parler avec les artistes, histoire de repasser une couche de vernis sur leur bagage perso. Mais le plus souvent, ils parlent entre eux. Ils sont là pour se montrer, se démontrer, faire savoir « qu’ils en sont », qu’ils ont compris le sens profond de ce qu’ils supportent (dans tous les sens du verbe « supporter »): ils se créent une étiquette « socio-cul ».  D’où l’importance du ton « gardènne partie ». D’où l’importance surtout de ne rien dire du tout sauf de parler boutique, popote, affaires de sous, affaires de personnes, jeux d’institution. L’illusion d’un certain pouvoir, une fois de plus.
Allait-on laisser les artistes parler, discourir ? A-t-on invité un seul grand architecte artiste ? Non, du tout. Les artistes, comme les historiens, ne sont pas là pour parler. Ce sont les « autorités » ou « les amis » qui parlent pour eux et balisent le chemin, car eux savent ce qui est bon pour les artistes. Ce mépris est insupportable, je le sentais déjà dans le monde historien. Moi qui pensais naïvement que le monde des artistes avait pu s’affranchir de la bourgeoisie des salons qui donnait des bons et des mauvais points aux artistes au XIXe s.!
Heureusement il reste le petit milieu des artistes eux-mêmes: au sein de ceux-là, comme au sein des fratries d’historiens, il y a de la vraie vie… je crains donc qu’avec ceux-là, au terme d’une soirée « à eux », on puisse être ramassé par terre le lendemain matin. Il faudra que j’essaye.

Les cathédrales de poussière

Une fois de plus, Manue me tend la perche bloguesque en lançant le thème de la bibliothèque imaginaire ou imaginée. Et notre chère figoblogueuse d’insister sur quelques poncifs que l’on retrouve non seulement dans les films ou livres pour enfants, mais aussi pour « plus grands »: « un temple du savoir, un peu effrayant, où l’on fait de mystérieuses et improbables découvertes au hasard des rayonnages », qui d’ailleurs semble encore plus impressionnant la nuit, lorsqu’on vient y « consulter les livres interdits ».
Il ya de l’exagération dans ces représentations et je ne peux que suivre Manue sur ce sujet… Mais quand même! Personnellement, j’ai éprouvé ces sentiments lors de cinq années que je passai, en ma prime jeunesse, dans un dépôt d’archives: mon contrat de doctorant me liait à ce dépôt et j’y rédigeai ma thèse et accomplis mon postdoc, comme « presque archiviste ». J’ai passé alors des heures à fureter dans les coins sombres des magasins d’archives, baignant dans la poussière, ouvrant ici une liasse et là une boîte… J’y ai découvert des fonds oubliés, des chartes perdues, des dossiers morts… Oh, certes, pas de « livres interdits », pas question de plonger un oeil dans les boîtes à archives scellées par l’autorité publique! Mais quels moments de plaisir intense passés là, à se laisser tenter par la curiosité et à parcourir des travées à la recherche des diamants bruts!
Puis arrivait la nuit. Là aussi, plongé dans les affres de la fin de thèse, je rédigeais dans le silence assourdissant de la pleine nuit, ne me dérangeaient que les craquements du gigantesque bâtiment qui n’était plus alors que lumière froide et odeurs. A ces moments, par nécessité ou pour me distraire, je retournais parfois dans les magasins qui prenaient alors l’allure d’une cathédrale où seuls les fantômes des ancêtres bruissaient dans les allées. La lumière y était plus froide et les odeurs d’archives plus prenantes que jamais. C’est là que je ressentais l’extraordinaire puissance des écrits du passé, tous alignés comme à la parade, formant une armée silencieuse mais jamais menaçante. Je n’ai jamais autant éprouvé d’émotion face aux documents d’archives que lorsque, me promenant sans mot dire au milieu des travées, je laissais (et je laisse, quand je puis encore le faire) glisser, couler ma main le long des registres serrés, sur le carton des boîtes, au fil des pas qui claquent sur le carrelage. Au fil des vies éteintes mais écrites.

S’agit-il du temps sagittal ?

Got vient de nous laisser une note interrogative dans ses Petites Cases, à propos de la vision du Moyen Âge aujourd’hui. Le comportement de nos contemporains vis-à-vis du « Moyen Âge » est paradoxal: selon moi, il tient à la conception du temps qui s’empare de notre époque. Les premiers temps de l’Histoire voient l’appréhension et l’utilisation par les hommes du mythe, où le temps est cyclique, passant de l’âge d’or à l’âge de bronze et l’âge de fer pour enfin revenir à l’âge d’or. Dans ce monde-là, ce que nous appelons « le progrès » n’existe pas. Jusqu’aux débuts du christianisme, c’est ce temps cyclique qui prévaut. Avec le christianisme s’installe le temps sagittal: avec un point de départ: la création du monde, et un point d’arrivée, la cible, le but: la fin des temps, la fin du monde. Evidemment, le temps mythique n’a pas disparu complètement mais c’est le temps sagittal qui a prévalu. Cette conception linéaire (souvenez-vous de la mythique « ligne du temps » des cours d’histoire en primaire ou au collège) s’est assise encore davantage au cours de la soi-disant renaissance puis des temps dits modernes et enfin les deux derniers siècles du deuxième millénaire, avec l’irruption de l’idée de « progrès », d’une société en perpétuelle mutation vers un « toujours mieux ». Se détachant lentement du christianisme, le temps sagittal est devenu l’élément clé voire moteur de la seconde moitié du XXe s. européen (citra- et ultra-atlantique), mais avec comme point central la confiance illimitée en l’homme et au progrès, technologique, économique et social. Mais le temps mythique, cyclique n’avait pas dit son dernier mot: à l’heure actuelle, il est plus que jamais présent et permet aux européens (toujours citra- et ultra-) inquiets de croire en l’avenir au travers des diverses crises, y voyant des ersatz d’âges de fer menant à d’hypothétiques âges d’or. En d’autres termes, le progrès reste essentiel mais il fait peur et bon nombre de nos contemporains s’en défient. C’est dans ce cadre qu’il faut inscrire le paradoxe du Moyen Âge, selon moi: à la fois vu comme un monde « moyenâgeux » dépassé, un monde d’horreurs antédiluviennes dont il faut se départir pour aller vers « le progrès »… et comme un monde idyllique, romantique, un ancien âge d’or aux apparences de fer, le monde des contes de fée et des jeux de rôle, un espace mythique dans lequel chacun aspire à la paix, un « alter-monde » en quelque sorte, sans le « mauvais » progrès. Ecartelé entre les deux conceptions du temps et donc de la vie, le Moyen Âge est donc tiré à hue et à dia, comme bien d’autres « objets » de notre société.
Ainsi durant ce mois de juillet, je suis parti visiter le château de Termes, un de ces châteaux languedociens appelés un peu ridiculement « cathares ». Là, en pleine fournaise, j’ai pu me promener dans ces ruines, perchées au sommet d’un nid d’aigle. Seul (!) visiteur durant quelques heures, je redescendis dans la vallée et me retrouvai dans la petite gayole que tenait la préposée aux tickets et vente de livres édifiants sur le catharisme clé-en-main. C’est là que survinrent, sortant de leur belle automobile climatisée, pimpants et frais, deux messieurs d’un âge mûr qui venaient pour visiter le château à leur tour. Pendant que je contemplais les étals chargés de « littérature » aguichante sur les cathares, je compris que nos bons messieurs (anglo-saxons, je crois…) se présentaient comme des cathares eux aussi, vivant dans l’esprit de leurs illustres prédécesseurs. Leur idéal de vie, c’était le catharisme et ils venaient là, dans les ruines, pour se ressourcer et « sentir les ondes » laissées sur place par leurs coréligionnaires en passant de vie à trépas. C’est leur vie, ce sont leurs croyances et je n’ai pas le droit de les dénigrer, voilà. Mais ce qui est paradoxal, c’est cette opposition flagrante, dont ils témoignaient naïvement, entre l’acceptation voire l’encouragement complet du progrès (des lunettes fumées aux bottines de marche dernier cri en passant par la clim de leur voiture dernier modèle) et le souci de retrouver des sensations anciennes, un « ressourcement », les ondes de l' »autre monde ».
Le plus difficile, dans mon métier de médiéviste, c’est de faire comprendre à mes auditeurs ou lecteurs que je ne peux accepter l' »autre monde », tandis que je garde pour moi et moi seul mon adhésion en un temps cyclique ou un temps sagittal. Que le Moyen Âge n’est ni moyenâgeux ni idéalisable.